«Les notaires ont des propositions à l’attention des institutions européennes»

Du 2 au 5 juin prochains, plus de 3 000 notaires français et internationaux se réuniront à Bruxelles pour un congrès placé sous le signe du droit international privé. A l'heure de la compétition mondiale entre les systèmes économiques, politiques et juridiques, la profession montre sa capacité d'adaptation à un monde en pleine mutation.

PORTRAITS CONGRES NOTAIRES 2019
PORTRAITS CONGRES NOTAIRES 2019

La Gazette Nord – Pas-de-Calais : Pour la première fois,
le congrès des notaires de France se déroule en dehors du territoire national
. Est-ce un pas de plus de la profession vers l’ouverture à
l’international ?

Maître Marc Cagniart : En effet, c’est historique, puisque le premier congrès des notaires s’est tenu en 1891 ! Dans chaque domaine, le monde évolue et notamment, la matière du droit international privé, de plus en plus présente dans nos dossiers. D’où la nécessité de proposer un congrès faisant le tour du sujet dans la pratique notariale. Symboliquement, c’est aussi une belle image d’être le premier des congrès à se tenir en dehors de l’Hexagone, puisque Bruxelles est la source de notre droit international privé, et c’est de cette capitale que nous viennent les règlements européens sur les successions, les régimes matrimoniaux, etc. Il est certain que les notaires auront des propositions à l’attention des institutions européennes, alors autant se réunir à l’endroit où se situe la source de notre droit.

Vous évoquez l’internationalisation de la profession, comment la pratique notariale s’adapte-t-elle aux évolutions des modes de vie ?

L’effet frontière existe bel et bien mais plus vraiment dans la vie concrète. Néanmoins, il en résulte des conséquences
juridiques auxquelles nous sommes
quotidiennement confrontés. On compte aujourd’hui plus de deux millions
de Français expatriés à l’étranger, un chiffre qui a bondi de 28% en dix ans.
Dans nos dossiers, il y a presque systématiquement un élément d’extranéité :
que ce soit un vendeur ou un acquéreur non résident, ou encore des situations
familiales avec quantité d’éléments d’extranéité, au niveau des régimes
matrimoniaux, des lois applicables à la succession ou encore de la dispersion
du patrimoine dans plusieurs pays. On ne peut donc plus uniquement appliquer la
loi française. Il y a véritablement
une réflexion et une analyse à mener pour appliquer correctement les règles de
droit international privé : c’est l’un de nos rôles.

Mais aussi un besoin de formation ?

Le besoin de formation résulte d’un constat très simple : le
droit international privé tel que nous avons pu l’apprendre dans les
universités il y a 15 ans est un droit jurisprudentiel français et aujourd’hui
nous appliquons un droit écrit européen. Nous nous formons sur le tas du fait
de l’obligation d’appliquer cette matière, mais ce n’est pas propre aux
notaires français. C’est notamment le cas du réglement sur les successions que
nous devons appliquer mais c’est aussi le cas des notaires de l’Union
européenne. A l’occasion du congrès, nous allons donc confronter les pratiques
des notariats, sur des textes que nous
partageons désormais. Nous appliquons tout d’abord le réglement européen
sur les successions et ça, c’est une nouveauté.

Parleriez-vous
d’une Europe d’harmonisation du droit ?

En effet, les règlements européens permettent une règle de conflit identique entre tous les pays de l’Union européenne. C’est pour cela que l’enjeu du congrès est “L’international : qualifier, rattacher, authentifier”. Nous devons respecter les cultures juridiques de tous les pays de l’Union. Les articulations entre différents systèmes ont été facilités et rendus homogènes dans l’Union Européenne et le règlement nous aide à appliquer la loi. Le notaire va donc potentiellement appliquer des lois étrangères. Prenons un exemple : si un Allemand prend sa retraite à Paris, mais en ayant laissé des dispositions en Allemagne, dans lesquelles il désigne la loi allemande comme applicable à sa succession, en tant que notaire français, nous autorisons la succession avec la loi allemande. Se parler entre notariats est indispensable pour permettre l’application convenable de ces règlements et donc, de l’application des lois étrangères.

Est ce que cela rend le travail du notaire plus complexe ?

Nous l’avons évoqué, le congrès permet de créer des réseaux
et d’identifier des correspondants. Mais, la complexité réside dans la masse de
dossiers avec un élément d’extranéité
et la multiplication des cas dans lesquels nous devons appliquer les réglements
européens.

La Ministre de la
Justice Nicole Belloubet intervient le lundi
3 juin en séance solennelle d’ouverture,
qu’attendez-vous de son intervention ?

En ouverture, nous proposons toujours un temps d’actualité,
avec un dialogue entre le Président
du Conseil Supérieur du notariat – Jean-François
Humbert – et la Garde des sceaux. Cet échange porte sur des sujets professionnels : l’autorité de
la concurrence, la loi de croissance, etc. Je
pense que Nicole Belloubet reviendra également
sur une proposition faite le lundi après-midi
par la première commission, sur la question de la codification du droit
international privé français. Aujourd’hui,
quand la profession se pose une
question sur le droit international privé
français, c’est une vraie dispersion ! C’est comme si on entrait dans une
bibliothèque sans aucun classement ! Les
praticiens – qu’ils soient notaires, avocats ou magistrats –, peuvent être désorientés sur la hiérarchie des normes. Vu de
l’étranger, nous avons un droit qui est illisible ! Et ce n’est ni compétitif ni attractif. Nous proposons donc un
code de droit international privé, comme c’est le cas en Belgique. Nous avions déjà fait cette proposition lors du congrès de 2015 mais aujourd’hui il
semblerait qu’il y ait une vraie volonté
politique. Nous ne pouvons que nous réjouir de cet élan politique national car en termes d’attractivité de la
France, d’intelligence et de sécurité pour les citoyens, nous aurons fait un grand pas, signe d’une
vraie simplification.

Qu’en est-il de la digitalisation ? Les
notaires sont-ils dans l’ère du temps ?

Il suffit de venir dans un office notarial pour voir que le digital fait partie de notre quotidien !
Les actes papiers sont marginaux et nous
échangeons avec les confrères et les clients via des data rooms électroniques. La
signature électronique est bel et bien une
réalité. La profession est même en avance par rapport aux autres professionnels
du droit !

Comment définiriez-vous
la
profession de notaire, ce juriste de proximité auquel
les français sont attachés ?

“Vu de l’étranger, notre droit est illisible” déplore Marc Cagniart, président du 115ème congrès des notaires de France.

Le notaire est au carrefour des intérêts privés de ses
clients, il est là pour conseiller, orienter et éviter de prendre des risques juridiques. Etant au carrefour des intérêts d’Etat, qui est notre autorité de
tutelle, nous avons bien entendu une obligation de loyauté, à
la jonction des intérêts de la nation et de nos clients.