Les maires, sur le pont et entre deux tours
Réélus ou encore en ballottage, voire battus au premier tour, les maires sont très sollicités. Garants de l’application des décisions de l’Etat, ils doivent veiller au fonctionnement des services essentiels et répondre aux interrogations, voire aux angoisses, de leurs administrés. Reportage (par téléphone) en Saône-et-Loire.
Sise au bord de la Saône, Tournus (Saône-et-Loire) est une ville de 5 500 habitants, dotée d’une abbatiale du XIIème siècle. Son maire, Bertrand Veau, est aussi pharmacien. Réélu le 15 mars dernier avec 81,5% des voix, il a ensuite passé deux semaines éprouvantes, levé à 6 heures du matin, couché à 2 heures, se partageant entre la pharmacie, la mairie et son domicile, d’où il effectue quelques tâches à distance.
«A la mairie, il fallait organiser les ressources humaines, signer les actes indispensables. A la pharmacie, nous avons reçu quatre fois plus de personnes qu’en temps normal, qui cherchaient des renseignements ou faisaient des stocks de médicaments. Et chez moi, je consacre beaucoup de temps à répondre aux questions des Tournusiens», raconte-t-il. Le week-end qui a suivi les deux premières semaines de confinement, il a enfin pu se reposer : «J’ai dormi pratiquement deux jours d’affilée».
Cette période intense, le maire l’a baptisée «la phase 2» de l’épidémie. Auparavant, la «phase 1» correspondait aux semaines précédant le confinement, décrété le 16 mars. C’était aussi l’époque de la campagne électorale. «Nous avions organisé un meeting avec 150 personnes le 13 mars, deux jours avant le premier tour, en prévoyant des sièges distants d’un mètre et du gel pour les mains. Mais certains pensaient braver le risque en s’embrassant», se souvient le maire, heureux que cet épisode n’ait, apparemment, pas entraîné de contaminations. Depuis que l’épidémie déferle sur l’Europe, Tournus déplore deux décès et quelques malades, aujourd’hui rétablis.
Depuis le début du mois d’avril, «nous sommes entrés dans la phase 3, une longue période, difficile à gérer psychologiquement et propice à l’ennui», poursuit l’élu, qui redoute des violences intra-familiales. Ensuite, la phase du déconfinement «se fera par étapes et pourrait durer jusqu’à la fin de l’année», prévient le maire.
Arrêtés municipaux pertinents… ou non
Comme Bertrand Veau, les maires, élus de villages, petites villes, banlieues ou métropoles, sont sur le pont, à la proue du navire, en première ligne, selon la métaphore que l’on choisira d’utiliser. Sur le pont et entre deux tours. Même si plus de 30 000 conseils municipaux, sur 35 000, sont au complet depuis le premier tour des élections municipales, il reste environ 5 000 deuxièmes tours à organiser, notamment dans les grandes villes. Mais, dans cette drôle d’époque, tous doivent désormais appliquer les directives de l’Etat, tout en répondant aux sollicitations de leurs administrés.
Plusieurs d’entre eux ont pris des dispositions destinées à limiter les allées et venues, alors que le printemps 2020 se révèle particulièrement ensoleillé. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a ainsi interdit depuis le 8 avril les activités physiques extérieures entre 10 et 19 heures, afin d’éviter les rassemblements intempestifs de joggers aux abords des parcs, le long des avenues ou sur les places désertées. La mesure pourrait toutefois entraîner des effets pervers, les joggers sortant tous en même temps, en fin de journée.
Tous les arrêtés municipaux ne sont pas pertinents. Fin mars, Ferdinand Bernhard, maire de Sanary-sur-Mer, sur la côte varoise, interdisait à ses administrés de s’éloigner à plus de dix mètres de leur domicile et d’effectuer des achats à l’unité. Face à une menace de recours de la préfecture, l’élu a retiré son arrêté. Le 6 avril, à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), Michel Veunac limitait à deux minutes le temps de stationnement sur un banc public. La mesure, très critiquée par ses adversaires politiques qui l’avaient devancé au premier tour des municipales, a été retirée le lendemain. A Béziers (Hérault), en revanche, les bancs ont été purement et simplement démontés, sur ordre du maire Robert Ménard.
A Marcq-en-Barœul, dans la banlieue de Lille, Bernard Gérard sanctionne d’une amende de 68 euros les crachats ou le fait de jeter un masque ou des gants souillés sur le sol. En région parisienne, le maire de Sceaux, Philippe Laurent, suivi par son homologue Emile-Roger Lombertie à Limoges, a intimé à ses administrés de porter une «protection nasale et buccale» pour leurs déplacements dans l’espace public. Les masques, qui continuent à manquer cruellement, peuvent être remplacés par des morceaux de tissu. A Morlaix (Finistère), il est interdit d’entreprendre des travaux bruyants de 9h à 15h, afin de permettre aux soignants travaillant de nuit de se reposer.
Certains maires instaurent un couvre-feu, d’autres entreprennent de «désinfecter» les rues à l’aide d’un nettoyeur à haute pression, comme on l’a vu faire en Asie. Mais l’efficacité de cette mesure est mise en cause, d’autant que les produits utilisés, de l’eau de Javel diluée dans le meilleur des cas, finirait par polluer la nappe phréatique.
Communiquer par Facebook
«Toutes ces mesures, les bancs, la Javel, les masques, nous les avons envisagées, admet Bertrand Veau. Mais l’évolution rassurante de l’épidémie, à Tournus, montre que les directives de l’Etat suffisent». Le maire est en revanche «très fier» d’avoir réussi à maintenir les deux marchés hebdomadaires, avec l’accord du préfet de Saône-et-Loire. Ce n’est pas le cas partout. A Strasbourg ou à Paris, le préfet a considéré que les conditions de sécurité n’étaient pas réunies, notamment pour les vastes marchés populaires. A Tournus, «nous avons mis en place, dès la première semaine de confinement, des règles strictes, et les quatre agents de police municipale ont pris leur rôle très au sérieux», signale Bertrand Veau.
Tout ceci implique d’informer régulièrement et précisément la population. Sur les bords de la Saône, deux vecteurs se révèlent particulièrement efficaces : le Journal de Saône-et-Loire et Facebook. Le quotidien régional «est encore très lu par les plus âgés, tandis que le réseau social est scruté par les 40-70 ans», indique le maire.
Il n’est pas le seul élu à compter sur le géant du numérique. Sur la page Facebook de Jean-Noël Carpentier, maire de Montigny-lès-Cormeilles, une ville de 21 000 habitants en grande banlieue parisienne, s’affichent les préoccupations du moment : fabrication de masques en tissu, des nouvelles de l’Ehpad, impression de visières en plastique, livraisons de fruits et légumes, etc. Si personne ne sait quand aura lieu le deuxième tour des élections, tous les maires ont compris qu’il leur faudrait assurer leur mission jusqu’au déconfinement complet.