Les libraires indépendants vigilants face à la sortie de crise
Avec un recul de 3,5% entre 2019 et 2020 (chiffre GfK), le secteur du livre n’a, a priori, que peu souffert de la crise sanitaire. Mais derrière ces chiffres rassurants se cache une réelle incertitude notamment pour les libraires indépendants reconnus comme "essentiels" qui ont pourtant vu leur flux de clients baisser.
« En mai 2020, la reprise a été très bonne, nos clients ont répondu présent, nous avons senti qu’ils étaient heureux de revenir malgré des conditions sanitaires très strictes. Il y a eu une belle dynamique jusqu’au reconfinement de novembre », se souvient Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française (SLF) et Directrice générale de la librairie Martelle à Amiens.
Fermés pendant plusieurs semaines, les libraires ont eu alors le droit de vendre uniquement en click and collect, bouleversant leur méthode de travail. « Nous n’avons pas pu exercer notre métier qui est avant tout du conseil. Nous avions juste le droit de préparer les commandes passées, et ça, ça a été l’enfer », note-t-elle. Au moment de la réouverture à quelques semaines de Noël, l’engouement de l’été s’est définitivement évanoui, créant une réelle morosité. « Le cœur n’y était pas, l’envie non plus. Ce n’était pas du tout festif, l’impression d’être sous cloche depuis trop longtemps était assez présente », observe Anne Martelle. Poussé par le syndicat des libraires, des éditeurs et des auteurs, le Gouvernement a finalement reconnu en février dernier la qualité "essentielle" des librairies.
Faire preuve de vigilance
« Être reconnu comme essentiel est évidemment une bonne chose. J’aurais mauvaise grâce de me plaindre aujourd’hui par rapport à d’autres secteurs qui sont fermés depuis plusieurs mois, reconnaît Anne Martelle, avant de temporiser : Personne n’avait vu arriver ce troisième confinement. Les centres-villes et lieux de passage sont déserts ! »
Impossible à l’heure actuelle de dire si la réouverture des commerces et des terrasses, ce 19 mai, profitera également aux libraires qui regardent les mois qui viennent avec crainte. « Nous avons été très bien accompagnés en 2020, mais les aides ne seront pas reconduites cette année. Nous sommes particulièrement vigilants sur la situation des libraires qui sont installés dans des centres commerciaux, près des universités ou des centres d’affaires et sont, de fait, totalement privés de flux », explique Anne Martelle.
Une avalanche de titres
« Personne n’a joué le jeu ou presque », soupire la présidente du SLF. En 2020, 60 541 nouveaux titres ont été publiés contre 68 171 en 2019 (source Livre Hebdo/ Electre data service). Une baisse de 11% qui ne rassure pas les professionnels dont la trésorerie est particulièrement fragile. « Nous sommes toujours sur le fil, mais la situation devient difficilement tenable. En tant que libraires indépendants, notre rôle est de sélectionner des titres, de faire des paris. C’est le sens même de notre métier. Mais devant autant de nouveautés, certains livres sont sacrifiés », prévient Anne Martelle.
Si les ouvrages de vulgarisation philosophique connaissent un franc succès lié à la crise et aux questionnements qu’elle a entraînés, la présidente du Syndicat de la librairie française craint à l’avenir un resserrage autour de valeurs sûres au détriment des jeunes auteurs.