Les grandes entreprises sommées d'améliorer leurs délais de paiement
La pandémie a provoqué une dégradation limitée des retards de paiement. Mais Bercy et la Banque de France annoncent des mesures pour forcer les mauvais payeurs à améliorer leurs pratiques, grandes entreprises en tête.
Forte pression sur les mauvais payeurs, publics et privés. Lors de la présentation du rapport 2020 de l'Observatoire des délais de paiement, à Bercy, deux annonces de mesures ont été faites, destinées à forcer les acheteurs à respecter les délais légaux. Côté entreprises, celles qui ne le font pas pourraient voir se dégrader leur cotation de la Banque de France, laquelle apprécie la capacité des sociétés à honorer leur engagements financiers à horizon de un à trois ans.
C'est ce qu'a annoncé le gouverneur de l'institution, François Villeroy de Galhau. «Concrètement, la trésorerie que les entreprises accumuleraient en différant leurs paiements n'est pas vraiment de la trésorerie disponible. (…) Nous corrigerons un éventuel biais favorable», qui serait généré par ce type de comportement, a-t-il expliqué. L'intégration de ce nouveau paramètre dans l'élaboration de la notation des entreprises débutera dès 2022 sur les comptes de 2021, auprès de 3 000 ETI et grandes entreprises en bonne santé financière. Lors de cette première étape, la dégradation potentielle de la notation se limitera à un cran «et peut être plus par la suite», a précisé François Villeroy de Galhau.
La seconde annonce, elle, concerne les collectivités locales : elles vont devoir, à titre individuel, faire preuve de transparence vis à vis des entreprises, concernant leurs délais de paiements. En effet, en dépit des progrès réalisés dans ce domaine par le secteur public dans son ensemble, «les enquêtes d'opinion auprès des chefs d'entreprises, et notamment des PME, montrent qu'ils n'ont pas le sentiment que les délais de paiements diminuent. Cela les dissuade de répondre aux appels d'offres. Pour les convaincre de faire confiance à la commande publique, il faut aller vers la transparence» des structures publiques à titre individuel, a expliqué Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, chargé des PME.
Lequel entend parvenir à un «accord de principe» avec les associations représentatives des régions, départements et communes d'ici la fin de l'année, pour s’entendre sur un dispositif. Déjà, «au niveau de l’État, on communique sur la performance en matière de délais de paiement, ministère par ministère», a rappelé Alain Griset.
Les effets «limités» de la pandémie
D'après les chiffres présentés par l'Observatoire, les effets de la pandémie sur les délais de paiement ont été «limités», selon les termes de Jeanne-Marie Prost, présidente de l'Observatoire. Les délais de paiement ont certes augmenté, mais moins que la situation n'aurait pu laisser le redouter. Au global, les retards de paiement, mesurés par le cabinet d'études Altarès, sont passés de 11,24 jours en janvier 2020 à 15,30 en août, avant de redescendre à 12,84 en décembre. «La situation est beaucoup moins bonne qu'avant la pandémie, mais elle reste contenue», estime Jeanne-Marie Prost.
Fin 2019, le niveau était de 11,5 jours. Par ailleurs, «tous les secteurs n'ont pas été impactés aussi fortement». En tête, hébergement et restauration ont connu un dérapage de plus de cinq jours de retards supplémentaires, le commerce et le transport de plus de deux jours, et la construction et l'industrie, de 1,4 jours en plus. D'après la présidente de l'Observatoire, cette «dégradation limitée» de la situation tient à plusieurs phénomènes. Tout d'abord, la mise en place du «soutien massif à la trésorerie des entreprises, via les PGE et le Fonds de solidarité», souligne-t-elle.
Deuxième facteur explicatif, une «solidarité intra-filière» qui s'est mise en place dans quelques cas. «Certains clients ont pris l'initiative de régler plus rapidement leurs fournisseurs (...). Il y a aussi eu des comportements incorrects, mais il ne faut pas toujours voir le verre à moitié vide», estime-t-elle. A ce propos, a rappelé François Villeroy de Galhau, la mise en place d'un comité de crise, qui est intervenu dès le début de la crise auprès de grands groupes mauvais payeurs, «a contribué à ramener les choses dans le bon ordre, après des alertes initiales».
Dernier facteur explicatif, ajoute Jeanne-Marie Prost, les administrations publiques ont également joué un «rôle très positif et proactif». En particulier, dans l'ensemble, les acteurs publics ont poursuivi leur baisse des délais de paiement, déjà entamée. L'an dernier, l’État a réduit ses délais, en moyenne, de deux jours, les communes dans leur ensemble, de un jour, les départements de 2,8 jours et les régions de 5,5 jours. A contre-courant, dans les établissements hospitaliers, les délais ont augmenté de 3,3 jours.
Les grandes entreprises paient moins rapidement que les petites
Sur le plus long terme, «le rapport nous enseigne qu'avant la pandémie, l'évolution des délais de paiement était très bien orientée. Nous constations une baisse très nette des délais fournisseurs et délais clients, après quatre ans de stabilité», souligne Jeanne-Marie Prost qui y voit une évolution « en profondeur » du comportement des agents économiques. Celui-ci tiendrait à plusieurs facteurs. Tout d'abord, un « contexte économique porteur », estime-t-elle. Autres facteurs explicatifs : le développement des systèmes de facturation électronique, l'impact des sanctions, avec des amendes plus sévères, et aussi, des «efforts de pédagogie», réalisés par différents acteurs publics et privés, comme la Délégation aux entreprises de Bercy ou encore les fédérations professionnelles.
Mais cette évolution positive comporte un «bémol» de taille, constate Jeanne-Marie Prost : le comportement des grandes entreprises. «Cette catégorie continue à sous-performer en matière de comportements de paiement», pointe-t-elle. En 2019, les PME ont connu une baisse de leurs délais de paiement auprès de leurs fournisseurs de l'ordre de 1,9 jours, tandis que chez les grandes entreprises, ce chiffre a augmenté de 1,7 jours. Là aussi, un faisceau d'explications. L'externalisation des centres facturiers et leur dématérialisation pourrait empêcher la résolution de problèmes simples, qui trouveraient leur solution par un simple contact humain. Les rapports de force pourraient aussi jouer. Une méconnaissance de la réglementation est aussi avancée par Jeanne-Marie Prost, qui plaide pour une stabilisation des règles.
Quoi qu'il en soit, ces comportements s'avèrent lourds de conséquences, en particulier pour les petites entreprises. Ils privent les PME de 19 milliards d'euros de trésorerie potentielle, rappelle Alain Griset, qui pointe le fait que, dans les cas les plus graves, ces retards «peuvent conduire à des défaillances d'entreprises pourtant viables».