Territoires
Les friches mosellanes, enjeu d’attractivité majeur pour le département
Avec près de 400 sites et zones, la Moselle est le département comprenant le plus grand nombre de friches en France. À l’occasion d’une table ronde organisée par Arthur Loyd, premier réseau français de conseil en immobilier d’entreprise, quatre experts se sont penchés sur le potentiel de ces espaces délaissés. Les analyses et les solutions entendues ont souvent été pertinentes et de bon sens. Elles nous rappellent qu'une friche, dans son histoire et sa reconversion, est souvent jalonnée de parcours humains, qu'il faut prendre en compte dans l'ambition d'innovation qui lui fera suite, pour dynamiser un territoire...
Dénommée «Friches Immobilières : quels nouveaux usages et création de valeur pour la Ville de Demain ?», cette conférence en terre mosellane a réuni Marjorie Tendero, professeure assistante à l'ESSCA & chercheuse associée au laboratoire SMART, experte de la reconversion des friches, Jérôme Barrier, directeur général chez SEBL Grand Est et SAREMM, auteur de «Réconcilier les territoires», Christophe Ostolani, Head of Real Estate Development chez ArcelorMittal Europe, et Vincent Aurez, directeur Innovation et Développement Durable de l’entreprise d’investissement dans le recyclage urbain Novaxia. Réunis au sein même de la friche de l'ancienne Société Générale de Metz, dont le chantier avait ouvert exceptionnellement ses portes pour l’occasion, les quatre experts ont échangé sur leur vision de la Ville de Demain. Comment transformer les friches de la région ? Quels leviers, dispositifs et solutions nouvelles ? Quelle création de valeur possible et comment faire de Metz le fer de lance du recyclage urbain ? Tant d'interrogations qui interpellent notre vivre ensemble.
Un temps d'échanges fructueux organisé par Arthur Loyd. (c) : Arthur Loyd.
L'avenir à la mixité verticale ?
À l’heure de l’urgence écologique et d’un changement climatique incontestable, les intervenants du jour s’accordent sur l’importance de limiter l’étalement urbain. L’optimisme domine : «On y est déjà !» s’exclame Marjorie Tendero, qui applaudit l’accroissement des lois poussant à réutiliser les fonciers abandonnés dans les villes, tout en regrettant que la prise de conscience politique sur l’état des sols arrive tardivement par rapport à celle sur l’état de l’eau ou de l’air. Une posture abordée également par Vincent Aurez, pour qui «La Ville de Demain, c‘est l’agrandissement d’initiatives déjà existantes qui ont fait leurs preuves aujourd’hui à travers l’innovation du recyclage urbain.». Un changement d’échelle nécessaire et encourageant : «Il n’y a pas de plans sur la comète», rassure-t-il. «Tout est là, tout est possible que ce soit les incubateurs, le recyclage de bureaux en logements, les occupations temporaires pour soutenir l’action sociale ou la vie de quartier.» Christophe Ostolani porte également une forte conviction contre l’étalement urbain : «il est normal de prendre en compte et de préserver la biodiversité dans le cadre de la reconversion d’un site délaissé», affirme-t-il. Pour lui, le quartier de l’avenir sera celui d’une mixité verticale. Un espace très concentré, dans lequel les habitants peuvent vivre à pied. «Il y a de la valeur dans la densité urbaine». «Il faut reconstruire la ville sur la ville», suggère-t-il en prenant pour exemple les villes romaines.
La place de l'économie circulaire
Vincent Aurez abonde dans ce sens et utilise l’exemple de l’économie circulaire, appliquée aujourd’hui aux biens de consommation tels que l’électroménager «on commence à se rendre compte qu’il y a un bien de consommation qui a beaucoup d’impact sur la biodiversité, c’est le m² artificialisé.» Les services avant les volumes, ainsi que la fortification du tissu social seront pour lui autant de clefs de la construction de la Ville de Demain. L’investisseur Novaxia optimise ses fonciers non-loués en les mettant à disposition d’acteurs sociaux tels que le Secours Populaire, l’Armée du Salut, ou autres ONG (une approche systématisée sur 98 % des projets). Un projet d’urbanisme transitoire à grande échelle, motivé par la conviction de l’importance du tissu social d’un territoire. «Plus on se rapproche du centre-ville, plus on se rapproche d’enjeux sociaux importants et très urbains, et plus l’immobilier est cher. C’est la principale charge pour les acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire, pour qui il est de plus en plus difficile de se rapprocher des centres-villes, alors même qu’ils sont essentiels à la Ville de Demain.»
Laisser l'industriel à l'industriel
Jérôme Barrier se prête lui au jeu de la projection dans l’avenir tout en mettant en garde contre les mots à la mode tels que «Smart Cities» car pour l’aménageur, il ne faut pas se laisser aveugler par la technique : «Il faut adapter la technique à la vie des gens, et non le contraire. Quand on travaille sur l’aménagement d’une zone d’habitation, il faut d’abord penser aux gens qui vont y vivre.». Il prend notamment l’exemple de la Ville sans voiture, utopie politique d’hier qui n’est pas une réalité aujourd’hui, et pose aujourd’hui d’importants problèmes de congestion et de stationnement. Chaque terrain est unique et les invités s’accordent à dire qu’il n’y a pas de recette magique pour leur réhabilitation. Un message prévaut, porté notamment par Christophe Ostolani : éviter un changement d’usage contre-nature pour ces terrains. Pour des sites anciennement industriels et potentiellement pollués, il sera plus avisé d’y maintenir un usage industriel. Les anciens terrains sidérurgiques ArcelorMittal sont aujourd’hui reconvertis vers la logistique ou au service de la transition énergétique, une priorité pour le Groupe.
Faire entrer la végétation dans la ville
Dans le cadre d’un projet ambitieux sur le photovoltaïque, Christophe Ostolani est en passe de reconvertir 850 Hectares en Europe en panneaux solaires, dans le but de réduire la dépendance aux énergies non renouvelables. L’objectif à long terme étant d’atteindre une autoconsommation. Vincent Aurez soutient cette approche au cas par cas, en rappelant que chaque territoire est unique. «C’est aux territoires de prioriser. Ils savent où est le besoin, et sont en mesure de guider au mieux l’orientation des projets», suggère-t-il. La question de la biodiversité revient souvent lorsqu’il s’agit de s’interroger sur les nouveaux usages de ces espaces. Vincent Aurez invoque le concept de «compensation de biodiversité» en expliquant qu’il est possible de re-naturer ces territoires en évitant la création de nouvelles zones d’artificialisation des sols. «On peut vraiment voir ces friches comme un gisement de valeur, une alternative et donc une ressource pour préserver la biodiversité», affirme-t-il. Marjorie Tendero a, elle aussi, exploré la question au cours de ses recherches, sous le prisme de l’agriculture urbaine. Elle s’est intéressée spécifiquement à un cas de jardins partagés touchés par une pollution des sols, et a découvert que certains légumes peuvent y pousser sans danger pour la consommation. Certaines variétés de tomates, par exemple, concentrent les toxines dans leurs feuilles mais pas dans leurs fruits. Elle déclare : «Si l’état des sols le permet, l’agriculture urbaine sur ces sites est une possibilité viable.» Une opinion partagée par M. Barrier, qui affirme qu’«aujourd’hui, le besoin n°1 est de faire entrer la végétation dans la ville.» Jérôme Barrier rappelle que la notion de RSE, qui a fait irruption dans le monde de l’entreprise, a changé le regard sur ce qu’est la création de valeur. Un bénéfice autrefois dirigé vers les actionnaires intègre maintenant les salariés et même, au sens large, la planète. Mais «l’industrie immobilière est encore aux balbutiements de cette approche », reconnaît-il. «Il faut détecter les signaux faibles et réussir à intégrer d’autres éléments de création de valeur que la valeur financière, tout en parvenant à en mesurer les effets.»
Trop de bureaux et de logements ?
«La valeur économique totale est un cadre théorique utilisée dans la littérature en économie de l’environnement. Je propose et complète un peu : « la valeur économique totale se divise entre les valeurs d’usages et les valeurs de non-usage comme la valeur d’héritage associés à des éléments à caractère identitaire ou patrimonial», précise Marjorie Tendero. L’experte regrette que les différents acteurs publics et privés aient tendance à valoriser les bureaux et logements. Tandis que les espaces verts, souvent préférés par les riverains, ont des bénéfices économiques mais aussi environnementaux qui sont plus difficiles à quantifier d’un point de vue monétaire et qui se feront sentir à long terme. «La création de valeur est autant financière qu’extra financière et vont de pair» également pour Vincent Aurez, qui rappelle qu’aujourd’hui, les investisseurs sont à la recherche d’impact sur l’économie réelle. Le contexte légal actuel favorise d’ailleurs cette démarche, désormais intéressante financièrement. «Aujourd’hui, faire un projet pour le profit à tout prix qui n’intègre pas les enjeux de biodiversité ne va pas dans le sens de la Ville de Demain. De fait, il est probable que ce projet ne soit pas si rentable financièrement», explique-t-il.
Une friche, témoin de l'histoire...
Cette logique est aujourd’hui transcrite légalement : la loi climat et résilience intègre justement l’impact de valeur extra-financière dans tous les projets. Il conclut sur un point important : le recyclage d’une friche est lié à l’attractivité d’un territoire. Une zone en déclin démographique n’est pas porteuse de valeur pour ses terrains à reconvertir. Il faut s’associer à sa dynamique : cela peut par exemple être un recyclage de bureaux obsolètes en logements comme le développement de sites Life Sciences. Des solutions existent pour financer ces projets qui sont en apparence plus complexes : associer les épargnants particuliers via des fonds et favoriser les liens avec les promoteurs partenaires. Abandon d’une industrie, fermeture d’une caserne... Les friches sont des témoins omniprésents de l’Histoire et parfois d’épisodes traumatisants pour un territoire, et tous les membres du panel s’accordent à dire que ces dernières portent une dimension émotionnelle forte. Face à l’attachement ambigu de riverains à ces lieux chargés d’histoires, l’approche par la concertation fait consensus : «Il n’y a pas de projet de réhabilitation de friches sans consultation», assure Marjorie Tendero. «Cela peut être un objet de conflit si la reconversion ne tient pas compte de l’objet historique. Il faut communiquer avec les riverains et prendre en compte le patrimoine.»
Respecter la mémoire du lieu et lui inventer un futur
L’experte cite, en exemple, d’anciens sites d’usines nucléaires, dont la cheminée fait désormais tant partie du paysage que les habitants y sont attachés. «La présence d’une friche signifie qu’il y a eu un choc psychologique», renforce Jérôme Barrier. «Il faut du temps pour cicatriser les blessures, et la concertation est un excellent outil pour impliquer les riverains, attachés au patrimoine. Il faut arriver à créer l’adhésion au projet dans un territoire où l’histoire est lourde.» Une vision du consensus et de la concertation largement partagée par Vincent Aurez, qui prône écoute et canaux de discussion multiples : «Pour faire un projet urbain il faut parler d’autre chose que d’immobilier.» Pour lui, lorsqu’il s’agit de travailler avec les territoires, les projets urbains d’envergure à succès sont ceux qui intègrent l’élu en charge de l’urbanisme, mais également, ceux en charge de la culture, de l’attractivité, du tourisme.… Christophe Ostolani tempère : «il faut honorer la mémoire d’un lieu mais sans en faire un musée. Sur les sites que nous reconvertissons, nous conservons les bâtiments les plus emblématiques, tels les soufflantes ou les bureaux de direction. Mais il faut aussi se tourner vers l’avenir et déconstruire le reste pour reconstruire.» Les projets de réhabilitation de friches sont longs et complexes. Si plusieurs des membres du panel évoquent justement cet attachement émotionnel des riverains comme une contrainte justifiée, d’autres proposent des pistes pour simplifier les démarches administratives.
Qu'est-ce qu'une friche ?
Marjorie Tendero propose, elle, de définir légalement la notion de «friche» : «Il n’y a pas de définition nationale, unifiée d’une friche, ce qui complique les process. Nous avons besoin d’une définition qui fasse consensus au niveau national et même européen.» Un travail laborieux qui est d’ailleurs en cours avec le LIFTI (Laboratoire d'Initiatives Foncières et Territoriales Innovantes). «L’État ne peut pas tout résoudre et les partenariats du type public-privé sont intéressants sur cette question», affirme Marjorie Tendero. «Dans le cas d’une friche orpheline par exemple, le travail du public va s’arrêter à la mise en sécurité du site. Dans le cadre d’un partenariat, cela peut permettre à ce que le site ne reste pas à l’abandon.» L’experte souligne également la question du budget des petites communes et cite Mauges-sur-Loire, 800 habitants (avant la fusion des communes), dans l’incapacité de réunir les 3 millions d’euros nécessaires pour dépolluer l’amiante de son usine abandonnée. Jérôme Barrier rappelle à cet effet l’intérêt du Fonds Friche, largement utilisé par la SEBL Grand Est dans ses projets de réhabilitation, et souligne l’intérêt des aménageurs privés sur des projets complexes comme des friches. «La raison en est principalement économique.» Il conclut : «Le secteur privé a besoin de rentabilité, ce qui n’est pas évident sur les projets de réhabilitation de friche.»