Les employés américains réclament "leur part" comme jamais depuis des décennies
Automobile, santé, restauration, armement, aérien, internet, spectacle, etc.: les Américains profitent, depuis plusieurs mois, du pouvoir de négociation procuré par un chômage bas pour réclamer - et obtenir - de...
Automobile, santé, restauration, armement, aérien, internet, spectacle, etc.: les Américains profitent, depuis plusieurs mois, du pouvoir de négociation procuré par un chômage bas pour réclamer - et obtenir - de meilleures conditions, dans un contexte d'inflation élevée.
"Les travailleurs n'ont pas eu autant de force de levier depuis des décennies, et certainement pas depuis la récession de 2008-2009", explique à l'AFP Susan Schurman, professeure spécialisée sur les relations dans le monde du travail à l'université Rutgers.
"La dernière fois" que les Etats-Unis ont connu des mouvements sociaux de cette ampleur, "c'était dans les années 1930", souligne-t-elle.
Aux Etats-Unis, "les employés de la base, les cols bleus, sont à la traîne, les salaires sont stables depuis des décennies parce que le pouvoir de négociation était du côté des employeurs", poursuit-elle.
"Mais la pandémie a changé tout ça. Tout d'un coup, le marché du travail s'est tendu, les employeurs ont des difficultés à recruter et par conséquent, les syndicats peuvent mettre la pression", souligne-t-elle. "C'est ce qu'il se passe depuis un an".
Résultat: les velléités de syndicalisation dans les entreprises (Amazon, Starbucks notamment) se multiplient, mais aboutir reste difficile.
Eventail de demandes
Selon Mme Schurman, lorsque des employés voient ce qu'obtiennent les syndicats, ils veulent faire pareil et des employeurs acceptent parfois leurs revendications pour éviter la création d'un syndicat.
Meilleurs salaires, meilleures conditions, garanties sur l'avenir, davantage de sécurité, etc.: la panoplie des demandes est vaste.
Le fil rouge, ce sont les salaires dans un pays où l'inflation "reste encore trop élevée", martelait le 19 octobre Jerome Powell, patron de la banque centrale américaine (Fed).
L'institution a relevé ses taux à onze reprises depuis mars 2022 pour que l'inflation "baisse durablement" vers l'objectif de 2%. Elle était de 3,7% en septembre (9,1% en juin 2022, un record en quatre décennies).
Un niveau qui rogne le pouvoir d'achat des Américains, également confrontés aux conséquences des taux de la Fed au plus haut depuis 2001 (5,25-5,50%).
Selon le ministère du Travail, le nombre de jours ouvrés non travaillés pour cause de grève a bondi cet été pour atteindre 4,1 millions en août, un plus haut en 23 ans et davantage que le cumul des sept mois précédents.
Dans l'automobile, où une grève a démarré mi-septembre chez Ford, Stellantis et General Motors, la situation est "spéciale", relève Mme Schurman.
"Les employés ont fait d'énormes sacrifices" lors du sauvetage du secteur après la crise de 2008 et maintenant, avec la reprise, "les dirigeants reçoivent beaucoup d'argent et les ouvriers veulent leur part".
"Un autre trimestre record, une autre année record. Comme nous le disons depuis des mois: des profits record signifient des contrats record", a commenté mardi Shawn Fain, président du syndicat United Auto Workers (UAW) à l'annonce des résultats trimestriels de GM.
Inédit
Elu en mars, il a adopté une stratégie inédite de débrayages simultanés dans les trois groupes. Jusqu'à près de 45.000 employés ont été mobilisés, sur leurs 146.000 encartés à l'UAW.
Selon le cabinet Anderson Economic Group (AEG), qui compte notamment Ford et GM comme clients, les cinq premières semaines de grève ont coûté plus de 9,3 milliards à l'économie américaine.
"Nous avons tous été surpris (par cette stratégie). Mais ça semble fonctionner, ils ont tous désormais davantage sur la table qu'il y a un mois", relève Mme Schurman.
Après 41 jours de grève, un "accord de principe" a été annoncé mercredi soir avec Ford "qui a mis sur la table 50% de plus que lorsque nous avons débrayé", s'est réjoui M. Fain.
Le président Joe Biden, qui a participé à un piquet de grève devant une usine GM fin septembre, a immédiatement salué un accord "historique".
Il avait fait de même en juillet avec l'accord chez UPS, qui a évité une grève aux conséquences désastreuses pour l'économie américaine.
Le groupe de défense et aérospatial General Dynamics a cédé in extremis.
Les compagnies aériennes United, Delta et American ont accordé à leurs pilotes des hausses salariales totales d'environ 40%.
Elles négocient désormais avec leurs personnels de cabine. Chez American, ils ont déjà validé le principe d'une grève.
L'antenne du groupe Blue Cross Blue Shield dans le Michigan, présenté comme son plus gros assureur privé, est perturbée par une grève depuis mi-septembre.
Près de 4.000 employés de trois casinos de Détroit sont en grève depuis une semaine.
Kaiser Permanente, l'un des plus grands réseaux de santé privés américains, a capitulé face à un préavis de grève d'une semaine début novembre, après un arrêt de travail début octobre de plus de 75.000 de ses 85.000 employés.
Ceux de la chaîne de pharmacie Walgreens font des débrayages de quelques jours, le prochain étant prévu fin octobre.
A Hollywood aussi: les scénaristes ont fait grève presque cinq mois, les acteurs ont commencé en juillet.
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