Les conventions de prestation de services intra-groupe : encadrement jurisprudentiel des conditions de validité
Le “Groupe” de sociétés n’est pas reconnu comme une structure juridique à part entière. S’il est aisé de comprendre la réalité qu’il recouvre, il reste source de paradoxe.
Ainsi, il peut être défini comme « un ensemble d’entreprises appartenant à des personnes physiques ou morales juridiquement distinctes et indépendantes les unes des autres dont l’activité est contrôlée par une institution dite société mère, qui par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs dirigeants, détient sur chacune d’elles un certain pouvoir financier, de gestion et d’administration économique » (ordonnance du 20 octobre 2011 transposant une directive du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009).
La société mère peut rendre un certain nombre de services à ses filles notamment formalisés par des conventions de prestations de services susceptibles de porter sur des services commerciaux, comptables et de ressources humaines. La jurisprudence est venue encadrer la nature des services facturés considérant que les fonctions de direction ne peuvent pas se déléguer. Autrement dit, la convention de prestations ne peut avoir pour objet de mettre à disposition de la filiale son propre dirigeant. Tout commence par l’arrêt “GAMLOR” rendu par la Cour Administrative d’Appel de Nancy le 9 octobre 2003 (CAA Nancy 9 octobre 2003 N° 98-2182, SA GAMLOR, RJF 1/ 04 N° 10).
Par cet arrêt, la Cour confirme la position de l’Administration fiscale qui considère : – qu’une filiale ne peut pas déduire les sommes qu’elle verse à sa société mère, pour la mise à disposition de son propre PDG (salarié de la mère) en l’absence de preuve de prestations distinctes des tâches inhérentes à des fonctions normales de président,
– qu’en décidant de ne pas rémunérer son président, la société filiale prend une décision de gestion qui lui est opposable. Aucune convention ne peut outrepasser les prérogatives légales de l’organe compétent pour fixer la rémunération dudit mandataire,
– que si la TVA peut être déduite même lorsque l’opération en cause relève de l’acte anormal de gestion, encore faut-il que les sommes versées correspondent à une prestation de services effectivement réalisée,
– qu’en l’absence de prestations différentes de celles normalement inhérentes aux fonctions de son président par ailleurs non rémunéré par elle, une société ne peut ni déduire les sommes versées au titre de rémunération forfaitaire des prestations de présidence à sa société mère de son assiette IS, ni déduire la TVA sur ces sommes.
A la suite de cette décision, la Cour de cassation, par un arrêt du 14 septembre 2010, confirme l’analyse de la Cour d’appel de Paris qui annule une convention de prestations de services entre la mère et sa fille pour « défaut de cause », au motif que « la rémunération du directeur général est déterminée par le conseil d’administration et ne peut être fixée par une convention conclue avec un tiers, peu important à cet égard que cette convention ait été autorisée par le conseil d’administration » (Cass. Com. 14 septembre 2010 n°09-16.084, Sté Samo gestion c/ Sté Sorepla).
Dans le cas d’espèce, les prestations visées par la convention étaient libellées dans les termes ci-après « l’action commerciale, gestion industrielle, gestion des ressources humaines, gestion administrative et financière, stratégie générale, prestation de direction ».
Enfin, par un arrêt du 23 octobre 2012, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le dirigeant (Cour de Cassation, Chambre Commerciale 23/ 10/ 2012 “Mécasonic” n° 11-23376).
En l’espèce, le président directeur général de la société Y avait conclu avec une société unipersonnelle Z dont il était gérant associé unique, une convention de prestation de services. Les prestations promises consistaient en « la création et le développement de filiales à l’étranger, l’organisation et/ ou la participation à des salons professionnels, la définition de stratégie de vente dans les différents pays visés et la recherche de nouveaux clients à l’étranger ». Lorsqu’il fut démis de ses fonctions, il demanda le paiement de l’indemnité conventionnelle prévue à la convention.
La Cour d’appel n’a pas fait droit à sa demande, au motif qu’une telle convention constituait « une délégation à la société unipersonnelle B dont Monsieur X est le gérant d’une partie des fonctions de décision, de stratégie et de représentation incombant normalement à ce dernier en sa qualité de directeur général de la société Y ».
En définitive, on constate qu’une des conséquences de cette jurisprudence réside en l’extension insécurisante de la notion de Direction, à défaut de définition légale. La prudence commande donc de circonscrire l’application des conventions de prestation de services à des fonctions techniques requérant une expertise particulière.
Une autre solution pourrait consister, lorsque les circonstances s’y prêtent, à désigner la société mère en qualité de dirigeant de la filiale lorsque la forme juridique de cette dernière l’autorise (SAS, notamment).
Cristaline Tourneux, avocat au barreau de Saint-Quentin
– EFC société d’avocats