Les clusters, une chance pour les territoires ?

Cluster ou pôle de compétitivité, quelque 400 regroupements d'entreprises existent en France. Certains impulsent une dynamique à leur territoire, mais le bon échelon des politiques publiques est plus central selon Pierre Veltz, sociologue.

La Glass Vallée - cluster créé en 2001 et soutenu, entre autres, par la région Hauts-de-France - regroupe 70 entreprises pour 7 000 salariés.
La Glass Vallée - cluster créé en 2001 et soutenu, entre autres, par la région Hauts-de-France - regroupe 70 entreprises pour 7 000 salariés.

Les clusters, les grappes d’entreprises ? Ils ont permis de «belles histoires» de territoires et d’industrie, d’après Nicolas Portier, délégué général de l’ADCF, l’Assemblée des communautés de France. Ce dernier intervenait le 12 septembre à Paris, lors du premier forum consacré aux filières d’excellence et aux écosystèmes territoriaux, organisé par Filex France qui les regroupe. Une table ronde consacrée à «Entreprises et territoires face aux défis de la réindustrialisation, des compétences, de l’environnement» a permis d’interroger l’échelle de pertinence des politiques industrielles, passées et actuelles.

Au niveau local, grâce aux regroupements d’entreprises, des territoires ont pu faire «face à la crise», estime Nicolas Portier. Exemple avec la vallée de la Bresle, à la limite de la Picardie et de la Normandie : historiquement spécialisée dans la verrerie, elle a dû faire face à l’effondrement de son l’activité. «Les verriers sous-traitants de Saint-Gobain se sont repositionnés et ont travaillé en collectif sur un positionnement plus haut de gamme», illustre Nicolas Portier. Aujourd’hui, la Glass Vallée, le cluster créé en 2001, est soutenu par l’Etat et les régions Normandie et Hauts-de-France. Elle regroupe 70 entreprises pour 7 000 salariés et revendique la production de plus de 70% de la production mondiale de flacons de luxe pour la parfumerie, les spiritueux ou la pharmacie.

En Pays de Loire, à Cholet, la situation est en revanche un peu moins brillante. «C’est un exemple du drame de la délocalisation. C’était considéré comme le foyer de la mode enfantine, avec 10 000 emplois. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose. C’est un peu tôt pour parler de réindustrialisation, mais une nouvelle économie essaie de se mettre en place», explique Rénald Lafarge. Lui est directeur général de Nova Child, pôle de compétitivité né en 2005, devenu cluster en 2011 et qui regroupe une cinquantaine d’entreprises spécialisées dans l’enfant et sa famille (mobiliers, jouets, vêtements…). Nova Child est l’un des quelque 400 clusters ou regroupements d’entreprises qui existent sur le territoire.

«Des pépites sur le territoire»

Pour Pierre Veltz, sociologue et économiste, auteur de La France des territoires, défis et promesses (Éditions de L’Aube), ces clusters constituent une réalité qui souffre «d’un déficit majeur de communication. L’opinion publique ne sait pas qu’il existe des pépites sur le territoire». Le sociologue se veut en effet à contre-courant d’un «discours ultra pessimiste sur le territoire français». Et il émet des propositions pour tirer au mieux parti des «promesses» du territoire. Aujourd’hui, analyse Pierre Veltz, les services ont pris une place prédominante dans l’emploi. L’industrie peine à recruter en raison d’une vision négative de la société et en dépit des campagnes de communication actuelles du gouvernement. Mais, surtout, «nous sommes dans une fusion, une convergence forte entre industrie et services, pas seulement parce que les chaînes de valeur sont de plus en plus imbriquées, mais aussi parce que l’industrie devient une industrie de services», analyse Pierre Veltz. Par exemple, dans la société de l’usage qui se développe, la mobilité est ainsi perçue comme un service. «Pendant les trente glorieuses, nous avons rempli nos garages, nos salons, de biens qui ont changé la vie de nos grands-parents, mais c’est fini. Aujourd’hui, les secteurs qui créent des emplois sont la santé, le bien-être, l’alimentation, l’éducation, le cadre de vie, la culture, le loisir, le tourisme», décrit Pierre Veltz. Autant de biens et services qui s’adressent à l’individu et, souvent, relèvent de secteurs de l’économie mixte, liés à la dépense publique. «Ils ont besoin de systèmes collectifs de plus en plus complexes, à base territoriale, et dont le moteur sont les données», explique l’expert, citant le cas de la mobilité et de la santé.

En dépit de cet ancrage territorial des projets, selon le sociologue, cette transition majeure appelle une échelle spécifique de politique publique. «Elle rappelle le rôle de la puissance publique, car nous avons besoin d’infrastructures, de nouvelles normes, et cela ne peut se faire à l’échelle locale. Nous avons également besoin de nouvelles compétences, de stratégie (…). Les  clusters continuent à avoir un rôle majeur, mais il faut monter en ambition», plaide Pierre Veltz. Illustration : en France, dans le domaine de la mobilité, de très nombreuses initiatives se déploient au niveau local. Est-ce la bonne échelle ? «Aux USA, le gouvernement et les GAFA ont décidé de concentrer les expérimentations sur la voiture autonome sur quelques grandes villes», pointe Pierre Veltz.