Stéphan de Butler, président du Medef Somme

« Les chefs d'entreprises se battent pour développer les projets »

L'organisation patronale du Medef (Mouvement des entreprises de France) est le premier réseau d'entrepreneurs du pays. Dans la Somme, il est le premier syndicat interprofessionnel avec plus de 300 entreprises adhérentes, « et beaucoup plus de professionnels partenaires dans les faits », précise Stéphan de Butler. Le président du Medef Somme, et par ailleurs directeur général du Groupe Pauchet Santé à Amiens, partage son analyse de la situation économique en cette fin d'année 2024 et livre ses messages au préfet Rollon Mouchel-Blaisot alors que le nouveau gouvernement Barnier prend ses marques.

Stéphan de Butler (à droite), président du Medef Somme, passe ses messages au préfet Rollon Mouchel-Blaisot, en tant que représentant de l'Etat.
Stéphan de Butler (à droite), président du Medef Somme, passe ses messages au préfet Rollon Mouchel-Blaisot, en tant que représentant de l'Etat.

La Gazette Picardie : Stéphan de Butler, entre la rentrée de septembre et cette fin d'année 2024 qui se profile, comment analysez-vous la situation économique du pays et du territoire ?

Stéphan de Butler : Nous sortons d'un contexte particulier, sans premier ministre pendant un long moment, durant lequel l'Etat ne savait plus trop comment agir sur les dossiers. Les élections ont d'ailleurs fait peur aux chefs d'entreprises, la montée de l’extrémisme qui pourrait mettre des barrières au développement économique les a inquiétés. Car l'Etat a un rôle essentiel à jouer, il garantit l'emploi de la population, il représente la dynamique d'activité. S'il flanche, des filières économiques flanchent.

Vous ressentez une conjoncture économique qui change ?

Je ne ressens pas d'effondrement, mais la fragilité du pays qui augmente. Nous vivons comme une accélération depuis le covid. Il y a eu la sortie de crise, tout le monde s'est mis à fabriquer, ce qui a créé l'inflation. A la différence qu'en France, nous sommes confrontés à des pays dont la capacité de production est moins chère. Un seul exemple : l'automobile chinoise est bien plus compétitive que nous. Et si on ajoute la fiscalité qui augmente encore les coûts de fabrication en France, on ne peut pas y arriver.

La volonté de retrouver une souveraineté industrielle nationale est-elle affectée ?

Avant tout, il ne faut pas voir la souveraineté industrielle comme du protectionnisme mais comme une capacité à s'imposer sur des marchés avec nos propres capacités de production. Cependant, le phénomène que l'on observe est le développement des grosses entreprises au détriment des filières industrielles qui disparaissent. Ce sont des disparitions qui ne se voient pas, celles des petits sous-traitants. Avant ils existaient, là c'est tout un système qui est en train de s'effriter. Ce sont aussi les conséquences des choix politiques passés. L'industrie ne représente plus que 11 % de l'activité économique française quand elle est à 22 % en Allemagne. En France nous ne faisons plus que du haut de gamme et presque plus rien d'autre, à l'image de la robinetterie classique qui n'existe plus ici. Pourtant, c'est l'industrie qui rapporte à la balance commerciale.

Les adhérents du Medef Somme réunis ici à la brasserie Jules à Amiens.


Les entreprises font-elles face à d'autres problématiques qui freinent l'activité du pays ?

Un des éléments que nous avons partagé au préfet en tant que représentant de l'Etat, est la lenteur quand ce n'est pas le blocage des dossiers administratifs. Nous avons bien sûr des adhérents Medef qui exportent leurs produits. Ils font face à d'autres pays comme la Grande Bretagne ou les Etats-Unis que leur administration soutient, elle leur apporte des éléments et cherche des solutions. En France, on prend trois fois plus de temps, voire on bloque les dossiers. Les exemples sont multiples, on apporte une grande attention ici à la santé et l'environnement, et c'est une très bonne chose. Mais on veut toujours être plus royaliste que le roi en mettant des autorisations environnementales plus élevées que la norme. De même, les aides à la consommation énergétique n'ont aucune visibilité sur le moyen et long termes qui sont pourtant l'échelle de temps des entreprises. Elles sont trop courtes et instables, les entreprises du bâtiment ne peuvent pas suivre. Preuve du cynisme de la situation : la prime énergétique mise en place l'année dernière a été arrêtée en début d'année pour être remise en prime individuelle, puis à nouveau annulée en cette fin d'année.

D'autres exemples confirment votre propos ?

L'instruction des permis de construire est de plus en plus compliquée, nous le voyons ne serait-ce qu'à Amiens, même quand il s'agit d'installer des médecins, on ne sait pas pourquoi. C'est aussi une des explications de la baisse d'activité du bâtiment : quand les permis traînent et que vous ajoutez à cela la conjoncture, la construction régresse. De fait, si les dossiers sont retardés, c'est aussi la fiscalité versée à l'Etat qui est retardée plutôt que de penser à augmenter les impôts. L'Etat devrait pourtant avoir un rôle de facilitateur, mais ce n'est pas une critique ouverte au président Macron, tous les présidents avant lui n'ont pas été au bout. Il s'agit d'une maladie profonde du pays.

L'emploi ne vient pas contrebalancer la situation ?

Nous vivons une pénurie permanente d'emplois. Les entreprises ne trouvent pas les bonnes compétences, elles sont parfois obligées d'arrêter la production. On peut le voir localement avec l'industrie du Vimeu qui souffre dans son environnement micro-économique alors que l'engagement national est réel sur la centrale nucléaire de Penly, non loin de là en Seine-Maritime. L'emploi est aussi un domaine de gestion de l'Etat. Encore une fois, l'entreprise qui subit le coût de l'emploi en même temps que la pénurie de compétences a des difficultés à faire face, d'autant plus en rivalité avec l'étranger.

Vous placez l'enjeu de l'entreprise dans son analyse macro-économique ?

La réflexion doit être faite à ce niveau de compréhension rationnel de la production, de l'emploi, de l'inflation, c'est dans ce système qui doit être favorable que peuvent se développer les entreprises. Maintenant (NDLR : avec la mise en place du nouveau gouvernement), l'année 2025 dépendra des décisions prises dans ce système économique général et par des politiques engagées qui ne freinent pas les énergies. Déjà, nos échanges avec le préfet ont été positifs en ce sens, nous le savons expérimenté, capable de s'engager, de remonter nos sujets d'inquiétudes et d'avancer pour l'intérêt général.

Voyez-vous des facteurs de confiance pour les entrepreneurs de la Somme ?

Il y a des secteurs menacés, certes, mais les chefs d'entreprises se battent. Il y a aussi de très belles réussites sur le territoire, notamment dans les domaines de l'agro-alimentaire, la santé, dans l'industrie. De beaux projets se sont montés, d'autres gros arrivent aussi. Nous allons donc rentrer dans les process et mettre nos énergies en commun pour les développer.