Entretien avec Olivier Dario, délégué général d’Evolis
«Les carnets de commande n’ont jamais été aussi pleins»
Alors que des menaces de désindustrialisation semblent planer, le secteur des biens d’équipement et machines pour l’industrie voit ses carnets de commande globalement remplis. Mais les inquiétudes ne manquent pas pour l’avenir. Entretien avec Olivier Dario, délégué général d’Evolis, qui fédère les entreprises de biens d’équipement et de machines pour la production industrielle
Que représente le secteur des biens d’équipement et machines pour l’industrie en France ?
Evolis représente 600 entreprises qui comptent 82 000 emplois et réalisent 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 60% à l’export. Le secteur comporte des sociétés importantes comme Manitou Group ou Mecalac, mais pour l’essentiel, il s’agit de PMI (petites et moyennes industries) et d’ETI qui exercent une grande diversité de métiers. Elles fabriquent des machines pour les fluides, comme de la robinetterie, des pompes, d’autres destinées aux travaux publics et à la construction, des solutions pour les systèmes logistiques, à l’image des équipements pour entrepôts, des machines-outils, ou encore des intégrateurs de robotique.
Ces entreprises à forte technologie travaillent pour toutes les filières : automobile, agroalimentaire, nucléaire, travaux publics...Il ne peut y avoir d’industrie forte sans secteur des machines et d’équipements fort et Evolis vise à sortir cette activité de l’ombre. De manière très significative, jusque dans les années 1970, le salon EMO, consacré aux machines-outils se tenait à Paris. Depuis, il a été racheté par les Allemands et les Italiens, et se tient alternativement dans les deux pays...
L’évolution de votre activité confirme-t-elle les craintes actuelles concernant une tendance à la désindustrialisation en France ?
Pour l’instant, les carnets de commande n’ont jamais été aussi pleins, même s’il y a des variations. Certains ont des commandes jusqu’en 2024. D’autres ne savent pas comment va se dérouler l’année qui démarre. Il est aussi possible que cette demande forte soit, pour partie, liée à la crise : la livraison de machines a pu être décalée en raison de composants qui tardent à arriver. Et des entreprises ont pu anticiper des commandes, prévoyant d’importants délais.
Par ailleurs, avec la crise de l’énergie, des industriels peuvent stopper leurs investissements. Un roboticien, par exemple, me disait son inquiétude face au ralentissement de l’activité de ses clients. Et la concurrence étrangère nous inquiète aussi. Pour le grand projet industriel de gigafactories de batteries, les équipements sont asiatiques... Au global, pour l’instant, l’industrie française se montre résiliente, même s’il reste difficile de faire des prévisions. Cela dit, il reste l’export : bien que nos ventes aillent principalement vers la Belgique, l’Allemagne et l’Italie, la question des contrats à l’étranger se pose. En effet, on assiste à un véritable mouvement de plaques tectoniques avec la Chine engagée dans une politique agressive et les USA qui subventionnent les entreprises qui s’installent chez eux.
Que devraient faire l’Europe et l’État pour soutenir votre industrie ?
Il faut aider notre industrie. Or, pour l’instant, l’Europe est dans la contrainte, pas dans la protection. Le Green deal a généré une activité réglementaire d’une intensité inédite. On nous demande de l’éco-conception, une économie circulaire plus poussée, des objectifs de décarbonation... Nous ne contestons pas, bien entendu, l’objectif, mais le rythme imposé peut tuer les entreprises plus fragiles. De plus, ces réglementations favorisent des sociétés étrangères qui peuvent être en avance sur ce sujet, sans pour autant vendre des produits de qualité. Il faudrait au contraire que l’Europe soit plus protectrice : pour l’instant, en effet, sous prétexte de bonnes intentions, on fait rentrer une concurrence chinoise qui achète des parts de marchés avec des prix bas.
Par ailleurs, les dispositifs doivent être bien conçus : la taxe carbone européenne, qui va s’appliquer à l’importation d’acier, va certes protéger les aciéries européennes, mais pourrait se révéler catastrophique pour ceux qui le transforment : ils perdront en compétitivité par rapport à leurs concurrents extra-européens… L’État français aussi pourrait accorder des aides. Par exemple, nous demandons un soutien pour encourager les loueurs de machines dans le cadre de chantiers, à passer du gasoil à l’électricité, une solution deux fois plus chère.