Les «bâtisseurs» du Louvre-Lens
C’est l’ouverture muséale de l’année, espérée, retardée puis enfin annoncée depuis 2004 : le musée du Louvre-Lens. Elle est l’aboutissement d’un long parcours auquel des entreprises régionales et nationales ont décidé de participer. Pour quelles raisons ? Dans quel esprit ? Sous quelle forme ?
C’est le maître d’ouvrage du futur musée, la Région Nord-Pas-de-Calais, par la voix de son président, Daniel Percheron, qui a décidé de faire appel aux mécènes pour participer au budget de la construction du musée. Il a «pris son bâton de pèlerin», comme il le dit, pour aller chercher des entreprises intéressées, dès 2005. Une tâche pas si facile, dans un contexte où le musée n’est encore qu’un projet, plutôt décrié. Le pèlerinage aura été efficace, puisque 10 millions d’euros de mécénat sont apportés au budget global des 150 millions d’euros officiels.
Une cathédrale du XXIe siècle. A l’image de cet établissement où tout est à créer, il fallait aussi inventer un mécénat. L’idée des «bâtisseurs», à l’instar de ceux qui construisaient les cathédrales du Moyen Age, est apparue pertinente, en accord avec le rôle de maître d’ouvrage et dans l’esprit d’équipe qui prévalait à l’époque moyenâgeuse. «Les bâtisseurs apportaient des petites ou des grosses pierres», explique Léonore Heemskerke, responsable du mécénat au Conseil régional, cheville ouvrière de cette quête de mécènes. Elle a donc imaginé trois différents niveaux de mécénats «pour contenter tout le monde, pour permettre de se positionner selon ses moyens, pour faire valoir les différences, et pour pouvoir coller aux valeurs de l’entreprise». La participation peut être en numéraire ou en nature, en fonction des métiers, avec une base de 50 000 euros. «C’est l’adhésion au projet qui a compté le plus, car il fallait arriver à faire rêver du musée dès 2005», ajoute-t-elle. Mission visiblement accomplie, avec l’hommage des mécènes en plus !
Fait rare : cinq banques sont dans la liste des mécènes. Mais aucune n’est dans la même catégorie. «Chaque banque à sa place. Ce qui est remarquable, c’est la mise en réseau des forces de la région pour la réalisation d’un projet et d’une vision du territoire», commente Géraldine Benjamin, directrice de la communication de la Cenfe. Et toutes ces banques ont choisi leur division régionale, et non pas nationale, pour être présentes.
Autre fait remarquable : la diversité des entreprises, par leur activité, leur taille et leur rayonnement. A côté des banques, des industriels (Française de mécanique, Nexans ), des sociétés de service (Dupont restauration), deux bailleurs sociaux (Maisons & Cités, Groupe SIA), des grandes sociétés nationales et internationales (Veolia environnement, Orange, SNCF, en Suisse Vitra et en Italie Trend), un assureur (AG2R -La Mondiale), et une fondation (Total).
«Le bâtir-ensemble a donné du sens à ce groupe de mécènes qui a suivi le chantier et vécu la construction du musée pendant trois à quatre ans», insiste Léonore Heemskerke.
Evidence, cohérence et fierté pour les entreprises. Deux mots reviennent comme des leitmotive dans la bouche de ces mécènes : l’évidence et la cohérence. L’évidence de leur participation au projet qui se bâtit sur leur territoire, celui où ils sont implantés depuis longtemps, où ils ont leurs forces vives. La cohérence de ce choix avec leur métier (qu’ils soient banquiers ou industriels), leur histoire et leurs valeurs internes.
Un autre mot revient aussi : la fierté. Elle est exprimée avec un incroyable enthousiasme. Chacun se réjouit d’avoir contribué à faire vivre ce projet en apportant sa pierre à l’édifice. Et tous souhaitent faire partager cette fierté, en interne bien sûr, mais aussi à l’externe.
Qui fait quoi ?
− Les “Mécènes bâtisseurs exceptionnels” : Veolia environnement et Crédit agricole Nord de France
Ils ne sont que deux à être tout en haut de la pyramide, avec des investissements de plus d’un demi-million d’euros.
Le Crédit agricole Nord de France a rejoint les bâtisseurs dès 2007. «Il fallait qu’une grande entreprise donne le ton et accompagne la vision de Daniel Percheron. Nous étions la première entreprise privée à s’engager et le premier mécénat en numéraire, avec Veolia. Nous avons donc pu choisir certaines parties du musée dans lesquelles nous engager : la galerie du Temps, colonne vertébrale du musée, nous a paru être la métaphore de notre engagement en termes de sens et sur la durée pour le musée, mais aussi pour notre action sur le territoire du Nord-Pas-de-Calais», explique Viviane Olivo, directrice de la communication du Crédit agricole Nord de France.
Veolia environnement a préféré (s’)investir dans le magnifique parc paysagé du musée.
− Les “Grands Partenaires” : Caisse des dépôts, Orange, SNCF
Ils sont au même niveau que les grands mécènes bâtisseurs, mais avec une appellation différente. Orange propose un mécénat de compétence, avec un savoir-faire apporté sur les outils de médiation. La SNCF participe en numéraire, affrète un train spécial pour l’inauguration et accompagne la communication. La Caisse des dépôts participe en numéraire en soutenant le centre de ressources.
Les “Grands Mécènes bâtisseurs” : Auchan, Nexans, Caisse d’épargne Nord France Europe.
Nexans a choisi un mécénat en nature, signé en 2009 : c’est le fournisseur de tous les câbles du chantier pour le parc et le musée. Une opération qui avait déjà été faite sur la rénovation du château de Versailles. Mais ici à Lens, elle a été «plus innovante, avec plus de connectivités», raconte Pascale Strudel, responsable communication qui rappelle l’implantation de trois sites de production à Lens et Geumont. Au total, 443 km de câbles de trois natures différentes ont été posés.
La Cenfe participe en numéraire mais insiste sur «l’accompagnement des collectivités à la mise en œuvre d’un établissement destiné à tous les publics», dans la droite ligne de ses valeurs, comme l’explique Géraldine Benjamin.
Auchan participe à l’installation du hall d’accueil du musée, là aussi bien dans la lignée de son savoir-faire.
Les “Mécènes bâtisseurs” : Française de mécanique, Crédit du Nord, AG2R-La Mondiale, Fondation Total, Trend, Groupe SIA, CCI région Nord-Pas-de-Calais, Maisons & Cités, Dupont restauration, Vitra.
Participant de la première heure aux “Beffrois du Louvre-Lens” et pratiquant le mécénat culturel depuis longtemps, l’investissement pour le Louvre-Lens était une évidence pour le Crédit du Nord qui participe en numéraire.
Le dirigeant de Française de mécanique s’est enthousiasmé pour le futur musée, tout proche de son site de production, et s’est souvenu que l’entreprise avait été mécène de l’ONL. Pour Philippe Coëne, DG, ce mécénat en numéraire «contribue à rapprocher les salariés du monde de l’art» et à diffuser la culture dans leur entourage. Les salariés auront l’accès libre à toutes les collections.
Dupont restauration participe aussi en numéraire. «C’est très rare dans notre profession où les marges brutes sont très basses. Cela représente un vrai effort», fait remarquer Geoffroy Dupont, directeur commercial et du développement, qui évoque des valeurs familiales pour la culture qu’il veut faire partager à ses collaborateurs.
Le premier bailleur du Nord-Pas-de-Calais, Maisons & Cités, a participé en numéraire, mais surtout a travaillé à faire connaître le projet du musée à 400 enfants du bassin minier depuis 2010. Il compte bien continuer sa mission de pédagogie.
Vitra, éditeur fabricant suisse de mobiliers et accessoires pour le bureau et la maison, a offert une partie du mobilier du Louvre-Lens (les Flowers de Sanaa, banquettes originales pour les zones publiques). Un autre industriel, Trend, fabricant de carrelage italien, a offert le carrelage dessiné par une artiste japonaise et posé dans le foyer.
AG2R-La Mondiale a choisi de travailler sur la solidarité et participe en numéraire. Même sorte de participation pour la Fondation Total qui a préféré s’intéresser à l’exposition sur la Renaissance. La CCI région Nord-Pas-de-Calais et le groupe SIA ont aussi versé leurs dîmes en tant que bâtisseurs.
Membre fondateur du Cercle Louvre-Lens entreprises : Crédit mutuel Nord Europe
Le Crédit Mutuel Nord Europe est l’un des premiers mécènes du projet, «quand il n’y avait presque rien» précise Léonore Heemskerke qui espère que le Cercle va continuer à s’agrandir après l’ouverture du musée.