Les agriculteurs cumulent les crises
Les perturbations climatiques ont durement impacté les agriculteurs cet été. Et l’automne promet d’être mouvementé, en raison des négociations des traités commerciaux internationaux. Ce sont deux des principaux enjeux, mais non les seuls, auxquels fait face le monde agricole, vient de rappeler la FNSEA.
Dans tous les sens du terme, « l’été a été chaud », a démarré Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, qui compte 212 000 adhérents, lors de sa conférence de presse de rentrée, le 4 septembre à Paris. Ce jour-là, le syndicat professionnel a dressé un état des lieux des nombreux sujets d’inquiétude des agriculteurs, d’ordre économique, sociétal, et, avant tout, climatique.
Cet été, en effet, les phénomènes climatiques ont pris des « proportions inédites », a rappelé Christiane Lambert. Trois épisodes de canicule successifs ont placé 86 départements en situation de restriction d’eau et 39 en alerte à la sécheresse. Les conséquences pour les agriculteurs ont été dramatiques, avec, d’après la FNSEA, des récoltes basses et aussi des éleveurs obligés de puiser dans les stocks de fourrage prévus pour l’hiver. Les impacts économiques devraient être importants, avec 14 000 entreprises qui ont déclaré des sinistres et une perte potentielle de l’ordre de 80 millions d ‚euros. Sur le court terme, des solutions doivent être trouvées pour venir en aide aux agriculteurs. À ce titre, la FNSEA doit remettre, ce mois, au gouvernement des propositions sur le sujet des assurances.
Mais plus largement, concernant le changement climatique, les agriculteurs sont à la fois « cause, victime et solution », analyse Christiane Lambert. Et la présidente de la FNSEA prône une « approche plus structurelle » du sujet. « Ces événements climatiques forts nous sembleront normaux dans quelques années. Les années de canicules et de graves accidents se répètent. Il faut raisonner pour les années à venir », insiste Christiane Lambert. Ainsi, il faut « gérer l’eau en bon père de famille », illustre-t-elle. Le stockage de l’eau,devrait être augmenté, sur la base de solutions élaborées lors de débats locaux. En effet, rappelle la FNSEA, les scientifiques prévoient une alternance de périodes de manque d’eau et de précipitations très importantes. Déjà, le gouvernement va autoriser la mise en place d’une soixantaine de retenues d’eau sur le territoire, cette année.
La concurrence bas de gamme
Après un été chaud, l’automne sera agité : en collaboration avec le syndicat des jeunes agriculteurs, la FNSEA promet, en effet, d’organiser des actions pour se faire entendre sur le sujet des traités internationaux. En octobre, le Sénat devra voter la ratification du Ceta, traité de libre-échange entre l’Union Européenne et le Canada. Ce dernier a été adopté le 23 juillet par l’Assemblée nationale, à une très courte majorité. Pour Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA, le texte crée une situation de « distorsion de concurrence ». « Nos conditions de production ne sont pas les mêmes qu’au Canada », rappelle-t-il Ainsi, les éleveurs européens ne sont pas autorisés à nourrir leurs animaux avec des nourritures animales, ni à utiliser des substances permises au Canada. « Nous avons besoin de garanties, et pas seulement de paroles. On nous dit qu’on va contrôler, et que ce qui va arriver du Canada correspondra aux standards européens (…), mais nous savons très bien qu’il n’y a pas les moyens pour effectuer ces contrôles. N’importons pas l’alimentation dont nous ne voulons pas », pointe Jérôme Despey.
Le secrétaire général de la FNSEA dénonce par ailleurs « l’incohérence » de la position du gouvernement qui approuve le Ceta et dénonce le projet d’accord commercial avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay). Cet été, suite aux incendies en Amazonie, Emmanuel Macron a, en effet, reculé sur ce projet. L’inquiétude du syndicat agricole quant aux conséquences de ces traités commerciaux se nourrit de plusieurs constats : « Au premier semestre 2019, les importations de volailles premier prix ont augmenté, en provenance de Pologne et d’Allemagne. Les achats qui augmentent sont ceux qui ne sont pas chers », note Jérôme Despey. Dans le même sens, la FNSEA souligne que, dans une grande distribution en crise, ce sont deux enseignes positionnées sur les bas prix, Leclerc et Lidl, qui affichent les meilleurs résultats. « Cela devrait éclairer les dirigeants », dénonce Jérôme Despey. Pour lui, la réalité d’une population soucieuse des fins de mois, à la recherche de bas prix, semble échapper à des autorités qui incitent les producteurs à monter en gamme…
Malaise sociétal
Lors de son intervention, Christiane Lambert a également fait le constat d’une « société qui s’inquiète des pratiques agricoles ». À rebours, les agriculteurs se sentent mal traités, voire, menacés, pointe la FNSEA, dont la présidente devait rencontrer, le jour même, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. En particulier, Christiane Lambert dénonce des « pratiques inconcevables », le fait de « quelques abolitionnistes radicalisés ». D’après le syndicat, les intrusions illégales dans les élevages se sont multipliées, passant de 16 en 2018, à 41 cette année. Menées par des activistes de la cause animale, comme Boucherie abolition, L214 ou DXE, elles visent à dénoncer des pratiques inacceptables. En 2018, une vidéo dans un abattoir de l’Indre avait montré des chevreaux saignés vivants. En avril dernier, dans un élevage de l’Orne, la libération de dindes, menée par des militants de l’association Boucherie Abolition a abouti à la mort de 1 500 d’entre elles, prises de panique.
Les agriculteurs ne sont pas en reste, certains se voyant agressés par des militants, lors d’épandage de produits phytosanitaires, dénonce la FNSEA. Laquelle met en garde : « Un jour, un agriculteur va péter un câble», prévient Christiane Lambert. À ces tensions s’est ajoutée la multiplication des arrêtés anti-pesticides des maires qui désignent les agriculteurs comme des mauvais citoyens, regrette la FNSEA. Ces arrêtés ont suivi celui du maire breton de Langouët, qui, en mai dernier, interdisait l’utilisation de produits phytopharmaceutiques « à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». L’arrêté a été suspendu par le tribunal administratif de Rennes, en août.
Au total, Christiane Lambert dénonce une tension qui va
crescendo. De fait, du coté des agriculteurs aussi, des débordements ont eu
lieu : après le vote du Ceta, une quinzaine de permanences d’élus ont fait
l’objet de dégradations, comme celles de deux députés LREM de Haute-Garonne,
Corinne Vignon, à Toulouse, dont des agriculteurs ont muré la porte d’entrée,
et Monique Iborra à Tournefeuille, devant laquelle ont été déversées deux
tonnes de fumier.