Les ados au travail aux Etats-Unis, entre lois assouplies et embauches illégales

Travailler dans une laverie industrielle à 14 ans, faire 35 heures par semaine en plus de l'école: c'est possible avec l'assouplissement des barrières encadrant le travail des adolescents dans plusieurs Etats américains, où...

Le Département américain du Travail, le 15 avril 2020 à Washington © Daniel SLIM
Le Département américain du Travail, le 15 avril 2020 à Washington © Daniel SLIM

Travailler dans une laverie industrielle à 14 ans, faire 35 heures par semaine en plus de l'école: c'est possible avec l'assouplissement des barrières encadrant le travail des adolescents dans plusieurs Etats américains, où l'embauche illégale d'enfants a en parallèle flambé.

Dans l'Arkansas, les changements sont effectifs depuis le 1er août.

La loi "rend simplement légal pour toute personne âgée de 14 ans et plus (...) de travailler sans autorisation du gouvernement", a indiqué à l'AFP Alexa Henning, porte-parole de la gouverneure républicaine de cet Etat, Sarah Huckabee Sanders - ancienne porte-parole de Donald Trump.

"Toutes les protections contre le travail des enfants s'appliquent toujours", la gouverneure a même "signé (un) projet de loi (...) pour durcir les sanctions", a-t-elle ajouté.

"Cela peut ne pas sembler très grave, mais en réalité, l'impact de cette loi est très important", a déploré auprès de l'AFP Reid Maki, coordinateur de l'organisation Child Labor Coalition. 

Le risque ? Retrouver des enfants "dans des emplois qu'ils ne devraient pas occuper".

Depuis deux ans, "au moins 14 États" ont présenté des textes visant à "éroder les protections des jeunes travailleurs", a expliqué à l'AFP Nina Mast, du centre de réflexion progressiste Economic Policy Institute, et co-auteure d'un rapport.

"En étendant les horaires, élargissant les secteurs dans lesquels les jeunes peuvent travailler, leur permettant de servir de l'alcool, ...", a-t-elle détaillé.

Iowa, New Jersey, New Hampshire, Michigan et Arkansas ont, à ce stade, modifié leur législation, selon ce rapport.

Dispositions "incompatibles

Aux Etats-Unis, une loi encadre le travail des mineurs depuis 1938. Mais chaque Etat est libre d'adopter sa propre législation, qui doit toutefois rester plus protectrice que le texte fédéral.

Dans l'Iowa, la gouverneure républicaine, Kim Reynolds, avait, en ratifiant le texte fin mai, salué "des dispositions de travail adaptées et de bon sens qui permettent aux jeunes adultes de développer leurs compétences sur le marché du travail".

Or, il s'agit, selon le rapport de Nina Mast et Jennifer Sherer, de "l'un des plus dangereux reculs des lois sur le travail des enfants dans le pays".

Des élus démocrates, opposés à cette réforme, ont saisi le ministère du Travail. Verdict: certaines dispositions "semblent incompatibles avec la loi fédérale", selon la réponse transmise fin août par Seema Nanda et Jessica Looman, deux responsables du ministère.

Les employeurs qui les appliquent se retrouvent alors dans l'illégalité.

Encore faudrait-il que le pays compte suffisamment d'inspecteurs du travail pour le constater, a déploré Reid Maki.

Le texte de l'Iowa autorise par exemple certaines tâches dangereuses, et permet aux moins de 16 ans de rester en poste jusqu'à 21H00 en période scolaire. Hors des clous du texte fédéral, donc, qui autorise les 14-16 ans à travailler jusqu'à 19H00 seulement en période scolaire, 3 heures par jour, et pendant 18 heures hebdomadaires au maximum.

A titre de comparaison, la France autorise les adolescents de cet âge à travailler pendant la moitié des vacances scolaires uniquement, sur des emplois sans risque.

Pas un problème du 19e siècle

La pénurie de main d'oeuvre que connaissent les Etats-Unis depuis plus de deux ans n'est pas étrangère à cette vague de dérèglementations, dénonce Nina Mast.

Le monde des entreprises "profite de la situation actuelle pour pousser à éroder les protections. Mais cet effort n'est pas nouveau", a-t-elle relevé, citant, entre autres, la fédération professionnelle de la construction, celle de la restauration, ou encore du tourisme.

Or, "nous ne pouvons pas affaiblir les protections pour fournir des travailleurs", accuse également Reid Maki.

"Le revenu qu'un enfant touchera, devenu adulte, dépend vraiment beaucoup du fait qu'il aille au lycée et à l'université", souligne-t-il.

Ces réformes arrivent alors que le nombre de mineurs employés illégalement dans le pays a bondi de 69% depuis 2018, selon le département du Travail.

Dans ces circonstances, "il est irresponsable pour les États d'envisager d'assouplir les protections contre le travail des enfants", avait dénoncé Seema Nanda, avocate du département au Travail, en avril.

L'administration Biden a annoncé en février vouloir renforcer la lutte contre le travail illégal, lié à l'afflux d'enfants migrants venus d'Amérique latine, souvent sans parent.

"Ce n'est pas un problème du 19e siècle - c'est un problème d'aujourd'hui", avait même relevé l'ancien ministre du Travail, Marty Walsh.

Une affaire, notamment, a marqué les esprits: en février, une entreprise de nettoyage industriel avait été condamnée. Elle avait embauché au moins 102 jeunes de 13 à 17 ans qui, la nuit, après leur journée d'école, nettoyaient des abattoirs, astiquant scies et fendeuses de tête avec des produits toxiques.

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