L'entrepreneuriat va-t-il sauver les «quartiers» ?
Depuis l'abandon du plan Borloo et l'arrivée du mouvement des gilets jaunes sur le devant de la scène médiatique, les problématiques des quartiers difficiles sont passées en arrière-plan. Sur le terrain, des associations continuent à travailler et à croire en une intégration qui passe par l'entrepreneuriat. Témoignages.
«Les quartiers ? C’est la chance, l’avenir de la France. Et si l’on échoue, c’est le cauchemar de la France», assène Jacques Attali, président de Positive Planet, association porteuse d’un programme «Entreprendre en banlieue» en France. C’était à Paris, le 15 janvier dernier, en ouverture d’une table ronde intitulée «ça bouge dans les quartiers pour les entrepreneurs». Laquelle réunissait plusieurs acteurs engagés dans la promotion de la création d’entreprise dans les quartiers difficiles.
Tous ont témoigné de l’importance de l’insertion par l’emploi -qui, de facto, passe par l’entrepreneuriat – et de la vitalité qu’ils rencontrent sur le terrain. Pour Jacques Attali, ces associations sont une «goutte d’eau dans la mer des besoins». Et pourtant, à l’en suivre, c’est toute la société qui a à y gagner : le coût de création des emplois, via la création d’entreprise, est bien inférieur à celui des personnes qui restent au chômage. La création d’entreprise ? «cela créé une dynamique», assure Moussa Camara, entrepreneur et fondateur de l’association Les Déterminés. Au départ, il y a onze ans, cet habitant de Cergy-Pontoise a commencé par faire du bénévolat social, dans le cadre de la rénovation urbaine que connaissait sa ville. «Il fallait s’occuper des problèmes de logement, de la sécurité du quartier (…). En même temps, j’ai eu la chance de créer une entreprise dans les métiers de l’informatique. Cela a été un levier. J’ai vu comment l’entrepreneuriat pouvait favoriser tout un quartier. Depuis quarante ans, on n’a pas trouvé de solution aux problèmes des quartiers, car il n’y a pas l’emploi. La réussite d’une politique sociale doit s’accompagner d’une réussite économique. Les deux sont liés», analyse- t-il.
«Beaucoup d’entrepreneurs dans les quartiers»
En prolongement de son engagement comme bénévole, en 2015, cet entrepreneur a donc créé une association, «Les déterminés». Objectif : profiter de son insertion dans le territoire pour «connecter» les habitants des quartiers et les associations qui accompagnent la création d’entreprise. «Il existe un écosystème, mais certains entrepreneurs se lancent sans être connectés. Ou d’autres se mettent des freins en se disant, on va me demander des documents, un business plan… Notre travail, c’est de sourcer et d’accompagner des profils pour les connecter aux écosystèmes», résume Moussa Camara. Aujourd’hui, l’association assure aussi de la formation.
Attention, toutefois, l’entrepreneuriat ne constitue pas la solution universelle qui convient à tout le monde. «L’entrepreneuriat, c’est dur. C’est du sacrifice, du temps, de l’argent, la capacité mentale à tenir. Il ne faut pas ramener des gens fragiles à l’entrepreneuriat, cela risque de les briser encore plus», met en garde Moussa Camara. Avis partagé par Michel Coster, qui sélectionne avec soin les jeunes qui vont participer au programme «Entrepreneurs dans la ville», qui leur permet d’être formés et accompagnés dans leur projet, porté par l’association «Sport dans la ville». Michel Coster, qui l’avait cofondée, a estimé que l’intégration pour le sport ne suffisait pas, et a souhaité y ajouter un volet d’inclusion par l’entrepreneuriat. En dix ans, le programme a accompagné 240 entrepreneurs. «Quelque chose qui brille au fond des yeux, une envie de réussir, de s’épanouir par son projet», «des macro-compétences de type comportementales», voilà les critères de sélection de Michel Coster. Toutefois, «cela ne suffit pas. Il faut savoir comprendre comment on va s’insérer dans un environnement, créer de la valeur et gagner de l’argent. Il y a beaucoup de jeunes qui, en six mois, sont capables de comprendre un marché, un seuil de rentabilité. Je suis bluffé par la capacité d’apprentissage de ces jeunes (…). Il y a beaucoup d’entrepreneurs dans les quartiers», estime-t-il.
Condamnés à la micro-entreprise de quartier?
Dernier témoignage, enfin, celui, atypique, de Bond’innov,
premier incubateur de Seine-Saint-Denis. Il soutient des projets innovants à
impact économique et sociétal. «La ville a décidé de créer un incubateur
lors de la rénovation urbaine dans les quartiers Nord. Il y a eu des
investissements dans la revalorisation de l’habitat, mais on s’est dit qu’il
fallait aussi développer un volet économique (…) A l’époque, proposer une
nouvelle forme de création d’emploi, c’était un pari», raconte Ninon Duval
Farré, directrice de Bond’Innov. C’est le premier incubateur à naître, en 2011,
dans le département, adossé à l’IRD, Institut de recherche pour le
développement, sur des projets souvent en relation avec l’Afrique. Une démarche
cohérente avec l’identité du département, très mixte. En 2017, l’incubateur a
accompagné 42 projets et contribué à créer 350 emplois.
Pour Ninon Duval Farré, la vitalité de l’entrepreneuriat sur le
territoire recouvre des réalités très diverses. «Il existe une forme un peu
subie, de quelqu’un qui ne trouve pas de job et crée son entreprise par
nécessité (…) et puis, il y a un entrepreneuriat de conviction, des personnes
qui ont envie de résoudre des problématiques sociales, sociétales (…). L’un a
comme moteur la nécessité, l’autre, l’ambition, une volonté de changer le monde»,
analyse la dirigeante. Pour les seconds, porteurs de projets d’une ampleur qui
nécessite des capitaux importants, les obstacles sont nombreux : pour
rencontrer de potentiels partenaires, il est en général indispensable de se
déplacer à Paris. De plus, observe la directrice de Bond’Innov, «il est
compliqué d’arriver à convaincre des investisseurs, même publics, sur des
projets atypiques». En ce qui concerne les projets des entrepreneurs des
quartiers qui ambitionnent de changer d’échelle, Moussa Camara fait le même
constat : «Il existe toujours un
frein. Les fonds d’investissement se posent deux fois la question, avant
d’investir dans ces projets-là».