Legaltech : quels bénéfices pour les professionnels du droit ?
La 4ème édition du Village de la Legaltech, organisé par Le Village de la justice et l’association Open Law-Le droit ouvert, s’est tenue récemment à Paris. Retour sur la séance plénière d’ouverture de ce rendez-vous, consacré aux technologies du numérique appliquées au droit.
«Le marché de la legaltech est en train de se structurer et de se concentrer autour de quelques solutions technologiques stables», estime Daniel Kohn, directeur de la prospective du groupe Septeo, acteur du secteur. Reste que, du côté des professionnels du droit, on observe une faible appropriation des technologies les plus avancées. Selon Christophe Albert, cofondateur du Village de la justice, il y a chez les juristes «très peu d’utilisateurs de la technologie blockchain», à laquelle il est possible de recourir pour l’enregistrement de preuves en matière de propriété intellectuelle ou dans le cadre de transactions immobilières, par exemple, «très peu d’utilisateurs des outils de justice prédictive» ou «des techniques de chiffrement, du cloud, de la signature électronique, des contrats numériques [natifs]…».
Une démarche progressive et itérative
Un certain nombre de professionnels du droit ont commencé à s’approprier des solutions basiques qui peuvent être implémentées sur leur site Internet pour améliorer son offre de services en ligne, telles que le paiement en ligne, la consultation, la prise de rendez- vous, la mise à disposition d’informations juridiques en ligne, l’accès à des espaces clients… Mais la plupart sont encore dans l’expectative : «on parle beaucoup de ces technologies, mais les juristes attendent, pour savoir quels bénéfices cela peut générer», observe Daniel Kohn. Pour de nombreux acteurs du droit, la legaltech «c’est une montagne qui se dresse devant eux», et c’est pourquoi «il faut y aller petit à petit, de façon progressive et itérative», en réalisant «un audit des solutions disponibles sur le marché» et en expérimentant «de nouveaux outils et de nouvelles façons de travailler, tout en conservant son activité traditionnelle de juriste en parallèle».
Quels bénéfices pour les juristes ?
Montrer «dans quelle mesure le numérique est capable de démultiplier les capacités des humains», en associant l’expertise juridique des praticiens à la puissance des machines : tel est, selon son président, Benjamin Jean, l’objet de l’association Open Law, qui œuvre à réunir tous les acteurs, privés et publics, professionnels du droit et experts du numérique, pour les faire travailler ensemble à la co-construction de nouveaux outils et services. Mais quels bénéfices concrets peuvent donc tirer les juristes des technologies les plus avancées ?
Pas d’intelligence artificielle sans expertise humaine
En matière d’analyse de contrats, un certain nombre de tâches sont «automatisables et réalisables par des machines», explique Racem Flazi, CEO et cofondateur de Legal Place. Des solutions métiers sont ainsi capables «de lire et analyser des contrats pour identifier et faire remonter les informations clés», «de suivre l’exécution d’un contrat avec des rappels automatiques sur des échéances», ou «sur le terrain de la compliance, de contrôler la conformité de ce qui est saisi dans un contrat lors de sa rédaction ou de son analyse». Dans tous les cas, «la machine a besoin de l’humain et du savoir des juristes» : «le travail du juriste se fait en amont pour élaborer toutes les règles d’analyse».
Même constat en ce qui concerne l’analyse de masse de données (analytics), utilisée pour la recherche de jurisprudence, avec l’ouverture en cours des décisions de justice (open data). «Les bases de données de jurisprudence existent depuis longtemps, et ce qui change [avec l’open data et l’analytics, ndlr] s’inscrit non pas en rupture mais dans la continuité», pointe Sébastien Bardou, directeur marketing de Lexis Nexis. Il s’agit «d’une approche quantitative et statistique du droit», «la justice prédictive n’existe pas».
Pour les juristes, le principal avantage est «le gain de temps, d’efficacité et de pertinence dans la recherche de jurisprudence», alors que la quantité d’informations disponibles ne cesse d’augmenter (4,5 millions de décisions de justice sont rendues, chaque année, en France). Là encore, «il faut un professionnel du droit en amont, pour concevoir les méthodes d’analyse, et en aval, pour interpréter les résultats». Et il faut aussi des règles édictées par les humains, à commencer par le respect de principes éthiques en matière de collecte des données et de transparence des algorithmes – «pas de boite noire».
L’apport des technologies est également sensible dans le domaine de la conformité légale et réglementaire (compliance), qui implique le traitement et le suivi d’un très grand nombre d’informations. «Les entreprises sont confrontées à des environnements réglementaires de plus en plus complexes et les risques liés à la non-conformité sont de plus en plus importants, car les contrôles se multiplient», observe Sean Dunphy, directeur Forensic de Deloitte. Or, il existe aujourd’hui dans ce domaine «des outils de détection des risques très puissants». Et là encore, c’est aux juristes qu’il revient d’identifier les sources de risques et de choisir les outils adaptés.
Jusqu’où veut-on aller ?
Reste que, selon Isabelle de La Gorce, avocate associée de PwC France, les juristes ne peuvent faire l’économie de réfléchir aux limites qu’il conviendrait de fixer aux machines : «cela fait des années que l’on se concentre sur les tâches chronophages à faible valeur ajoutée, mais il existe, désormais, des solutions technologiques très complexes qui font peser des risques sur les prestations intellectuelles beaucoup plus sophistiquées. Jusqu’où veut-on aller ?».