L’économie américaine selon Biden
Joe Biden vient d’être élu 46e président des États-Unis sur un programme économique interventionniste. Mais sera-t-il applicable en l’état avec la crise issue de la covid-19 et d’éventuels vents contraires en provenance du Sénat ?
Après une élection présidentielle ubuesque, qui a vu l’actuel président Donald Trump refuser d’admettre sa défaite, Joe Biden a remporté la majorité des grands électeurs et deviendra donc le 46e président des États-Unis en janvier prochain. Durant la campagne électorale, son programme économique interventionniste se voulait une synthèse entre les positions socialistes de Bernie Sanders (nationalisation de l’assurance-maladie, annulation de la dette étudiante, doublement du salaire minimum, droit à un emploi fédéral, Green New Deal) et celles encore plus radicales d’Elizabeth Warren conseillée par deux économistes français (taxation des plus riches, assurance maladie universelle, démantèlement des GAFAM…).
L’économie américaine sous tension
Pendant quatre ans, Donald Trump a mené une politique économique surprenante, consistant en une expansion budgétaire — alors même que le taux de chômage était faible — et en un protectionnisme portant sur des produits pour lesquels il n’existe même plus de substituts domestiques aux États-Unis. Le tout était mâtiné d’une politique fiscale à destination des plus riches (baisse de la taxation des profits des entreprises, baisse de la taxation des plus hautes tranches de revenu…), source d’encore plus d’inégalités. Et pourtant, malgré ces incohérences, le taux de participation (part de la population en âge de travailler qui est active -actifs occupés et chômeurs) et les gains de productivité se sont redressés, d’où une poursuite de la croissance alors même que nombre d’économistes s’attendaient à un retournement de cycle.
Cependant, ce serait oublier les graves déséquilibres auxquels les États-Unis font face. Tout d’abord, il y a ce déficit public structurel depuis le tournant des années 2000 doublé d’un déficit extérieur qui ne l’est pas moins, situation que l’on qualifie de déficits jumeaux. Pour tenter de pallier ce manque de compétitivité à l’export de l’économie américaine, Donald Trump avait choisi la voie de la guerre commerciale avec la Chine. Quant à l’endettement, son niveau était déjà préoccupant bien avant la crise de la covid-19. Ainsi, à la fin de l’année 2019, le taux d’endettement du secteur privé non financier s’élevait à 149 % du PIB et l’endettement public à 103,6 %, soit un endettement total (public et privé) de plus de 250 % du PIB aux États-Unis (contre 200 % dans la zone euro, 150 % en Allemagne et 360 % au Japon)… Un tel niveau d’endettement est supportable grâce au niveau très bas des taux d’intérêt, mais la Réserve fédérale sera bien un jour contrainte d’arrêter sa politique monétaire ultra-expansionniste.
Build Back Better (Reconstruire mieux)
Pour répondre à la demande de pouvoir d’achat, Joe Biden a martelé qu’il doublerait le salaire minimum fédéral à 15 dollars par heure et régulerait la gig economy (l’économie des petits boulots). En matière de fiscalité, il prévoit notamment de relever le taux maximal d’imposition de 37 à 39,6 % et le taux d’imposition moyen des entreprises de 21 % à 28 %. Sur la question de la santé, Joe Biden souhaite approfondir l’Obamacare et baisser le prix des médicaments, sans pour autant aller vers une assurance universelle et publique.
Afin de retenir les entreprises tentées de délocaliser une partie de leur production tout en gratifiant celles qui restent, il est question d’un système de bonus-malus sous forme de crédits d’impôt. Et pour encourager l’investissement sur le sol américain, un plan Made in America sera destiné à labelliser les entreprises qui produisent sur le territoire national, tout en investissant dans la R&D et dans ce qu’il est convenu de nommer les technologies du futur (intelligence artificielle, 5G…). En outre, conscient de l’état pitoyable de certaines infrastructures publiques, 1 300 milliards de dollars seraient investis sur dix ans. Quant à une normalisation des relations avec la Chine, rien ne semble acquis, puisqu’il aura fallu une semaine à l’empire du Milieu pour féliciter Joe Biden. Ce dernier, il est vrai, avait traité, durant la campagne électorale, le président chinois Xi Jinping de « voyou »…
Enfin, Joe Biden s’est engagé à ce que les États-Unis réintègrent l’Accord de Paris sur le climat, honni par Donald Trump, et a promis 1 700 milliards de dollars d’investissement sur dix ans pour la transition écologique : « je me détournerai progressivement de l’industrie pétrolière ».
Hélas, au vu du niveau d’endettement total, les plans d’investissement seront probablement revus à la baisse, ou à tout le moins fondus dans un programme global de lutte contre la crise. Et si les républicains devaient contrôler le Sénat, nombre de promesses de campagne de Joe Biden ne seraient tout simplement jamais appliquées.
Raphaël DIDIER