Le vieil acier au coeur d'une nouvelle guerre commerciale

Les droits de douane de 25% sur l'acier importé aux Etats-Unis devenus effectifs mercredi compliquent la donne sur ce marché stratégique pour les gratte-ciels ou l'automobile, déstabilisé par le manque de compétitivité de la filière...

A Miami, construction d'un gratte-ciel à partir de poutres d'acier, le 10 février 2025 © JOE RAEDLE
A Miami, construction d'un gratte-ciel à partir de poutres d'acier, le 10 février 2025 © JOE RAEDLE

Les droits de douane de 25% sur l'acier importé aux Etats-Unis devenus effectifs mercredi compliquent la donne sur ce marché stratégique pour les gratte-ciels ou l'automobile, déstabilisé par le manque de compétitivité de la filière historique des hauts-fourneaux face aux recycleurs d'acier.

Que s'est-il passé lors du premier mandat Trump?

Lors de son premier passage à la Maison Blanche (2017-2021), le président américain avait déjà imposé des droits de 25% sur l'acier, et de 10% sur l'aluminium, pour tenter de protéger l'industrie américaine et ses électeurs, dont beaucoup viennent de la Rust Belt industrielle dans le Middle West. 

Les 12 derniers hauts-fourneaux en service aux Etats-Unis appartiennent à US Steel, basé à Pittsburgh (Pennsylvanie), et Cleveland Cliffs (Ohio).

Mais cette mesure a eu un impact très limité, souligne Ruben Nizard, économiste chez l'assureur Credit Coface. Certes, les importations américaines d'acier ont baissé de 24% sur la période et celles d'aluminium de 31% selon un bilan de la commission du commerce internationale américaine. 

"Mais aucun bénéfice clair n'est apparu ni en termes d'emploi ni en terme de production, et les prix ont augmenté", nourrissant l'inflation, souligne Ruben Nizard.

De fait, "l'acier européen plat est aujourd'hui à 600 dollars la tonne et l'acier américain à 900 dollars", complète Marcel Genet du cabinet Laplace Conseil, spécialisé dans l'acier.

Qui exporte de l'acier vers les Etats-Unis?

La planète a produit 1,84 milliard de tonnes d'acier brut l'an passé (-0,9% par rapport à 2023), dont plus de la moitié (1 milliard) vient de Chine, premier sidérurgiste mondial, selon le dernier bilan de l'association World Steel portant sur 71 pays représentant 98% de la production mondiale.

Les Etats-Unis sont le quatrième producteur mondial, avec 79,5 millions de tonnes (-2,4%). 

Ils sont parallèlement le deuxième importateur mondial, avec 26,4 millions de tonnes importées en 2023, juste derrière l'Union européenne (39,2 millions). 

Les Etats-Unis s'approvisionnent en premier lieu au Canada, avec 5,95 millions de tonnes importées en 2024, selon le ministère américain du commerce. Derrière, arrivent le Brésil (4,08 millions) et l'UE (3,89 millions). 

Le Mexique fournit 3,19 millions de tonnes, la Corée du Sud 2,5 millions, devant le Vietnam, le Japon et Taiwan, tous autour d'un million, et la Chine environ 470.000 tonnes.

Les grands constructeurs automobiles américains Ford, General Motors et Stellantis (Chrysler, Jeep, Dodge, etc), très implantés au Canada et au Mexique, ont répété mercredi que des droits de douane sur l'acier de ces deux pays augmenteraient "fortement" les prix pour les constructeurs, les fournisseurs et, in fine, les automobilistes.

Pourquoi Trump parle-t-il de concurrence déloyale ?

Les prix mondiaux de l'acier avaient beaucoup baissé depuis un an en raison d'une surcapacité mondiale, évaluée par l'OCDE entre 500 et 560  millions de tonnes. 

La majorité vient de Chine ou de sidérurgistes chinois installés en Asie du sud-est qui inondent les marchés, se plaignent les industriels européens et américains qui soupçonnent la Chine de subventionner massivement sa production.

L'économie de l'acier, traditionnellement cyclique, est désormais face à un problème "structurel" de surcapacité, soulignent des experts.

Une analyse toutefois contestée par certains, comme Marcel Genet, pour qui les problèmes de l'acier viennent surtout de la non compétitivité des vieux hauts-fourneaux qui produisent de l'acier dit "primaire" à base de minerai de fer et de charbon, face à l'acier issu de ferrailles recyclées dans des fours électriques, beaucoup moins coûteux.

"Les entreprises intégrées à hauts-fourneaux traditionnelles n'ont pas les moyens de financer leur transition énergétique, c'est-à-dire le remplacement du charbon (par du gaz ou de l'hydrogène, NDLR), sans aide massive de leurs Etats respectifs", dit-il.

De plus, les sidérurgies européenne et nord-américaine sont maintenues sous tension par la baisse de leurs exportations d'acier depuis 50 ans, alors que les pays émergents ont développé progressivement leurs filières, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, souligne Marcel Genet.

US Steel, en difficulté, a fait l'objet d'une tentative de rachat par Nippon Steel, bloquée par Joe Biden. Donald Trump, de son côté, a récemment déclaré que Nippon Steel pourrait plutôt "investir" dans U.S. Steel.

En Europe, où il reste une cinquantaine de hauts-fourneaux selon Marcel Genet, l'allemand ThyssenKrupp a annoncé des milliers de suppressions d'emplois. La plupart des hauts-fourneaux fonctionnent d'ailleurs à moins de 70% de leur capacité et ont annoncé la suspension de leurs projets d'investissement massif dans la décarbonation.

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