Le trompe-l’œil du boom de la création d’entreprises en Moselle

1 484, 1 535, 1 765, 2 044, 2 117 et 2 799. Ce ne sont pas les combinaisons gagnantes d’un quelconque jeu de hasard ou de loterie, mais les données de la création d’entreprises en Moselle lors de chaque premier trimestre depuis 2016. On le comprend, en observant ces statistiques, le nombre de nouvelles entités suit une courbe exponentielle. Le mois de mars écoulé a vu 1 005 entreprises créées. Du jamais vu. Le phénomène est similaire partout dans le périmètre hexagonal. Et ce n’est surtout pas la crise qui a freiné cet élan. Alors, revient cette thèse de quelques économistes et politiques, ne freinant pas leur enthousiasme : les Français ont la fibre entrepreneuriale, et les Mosellans, a fortiori !

Un pays de créateurs ? À voir

Si tant de concitoyens, de plus en plus nombreux, affirment, haut et fort, leur désir d’indépendance, sentiment renforcé avec les mois passés dans le contexte du coronavirus, comme une soudaine prise de conscience de s'accomplir et de s'épanouir professionnellement, il convient, toutefois, de garder la mesure des choses. Car, tel ou tel, voudra bien «récupérer» ces chiffres favorables, en poussant un «cocorico» exagéré. Car s’inventer du jour au lendemain un destin d’entrepreneur ne se décrète pas sur un claquement de doigt, une envie soudaine, une pulsion de liberté. C'est un chemin ardu, souvent sur la ligne de crête. La réussite en la matière requiert d'authentiques qualités de capitaine de bord, stoïque et réactif dans les difficultés, la tête froide devant le succès. Si la Covid-19 n’a donc pas stoppé le mouvement de création d’entreprises en Moselle, il faut noter que deux sur trois sont des micro-entreprises. Au premier trimestre 2021, sur ces 1 005 nouvelles entreprises, près de 700 étaient des micro-entreprises, soit quelque 70 %. La proportion était de 60 % ces dernières années. Le chiffre des créations d’entreprises dans le département dissimule en fait deux courbes qui se croisent : le dynamisme de la micro-entreprise et la stagnation de la création de sociétés, lesquelles structurent en général des projets plus affinés, plus ambitieux, demandant plus de capitaux initiaux, avec un business plan à plusieurs années en avant.

Un entrepreneuriat low cost ?

En Moselle, la part des sociétés dans le global des créations restent à 20 %. Dès lors, on peut se poser la question. Comment trouver une explication rationnelle et plausible à cet engouement pour l’entrepreneuriat ? Est-ce une vraie envie d’entreprendre ? Un besoin vital de trouver des revenus complémentaires quand la situation de beaucoup de salariés s’est dégradée ces derniers mois ? Pour nombre de néo-créateurs, n’est-ce pas en fait un entrepreneuriat de contrainte ? Pour beaucoup, créer son entreprise, c’est souvent le besoin de créer son emploi… surtout quand on a perdu le sien et que l’on se retrouve au pied du mur, en fin d'indemnisation chômage notamment. Les données nationales laissent apparaître cette constatation : le secteur de la livraison à domicile a été celui qui l’an passé a généré la plus forte proportion de micro-entreprises : plus de 25 000. Ce sont là des livreurs de repas à domicile, avec l’explosion des services de plateformes comme Deliveroo ou Uber Eats. La particularité de ces métiers : ils n’exigent pas de qualification particulière, sont peu rémunérés et dégageront au final de faibles gains de productivité.

Sauver tout ou partie de l'écosystème d'entreprise ?

Si le nombre de micro-entreprises a fait un bond en 2020, une autre réalité se fait jour. Elle n’est pas réjouissante : selon une étude de l’Union des micro-entreprises, 80 % de ces dernières affichent des chiffres d’affaires en baisse de 40 % ou plus depuis le déconfinement du printemps 2020, sans remonter la pente. Les mois à venir interrogent. Dans une économie placée sous assistance étatique depuis de longs mois, que va-t-il advenir de cet entrepreneuriat disparate et finalement fragile ? Ne risque-t-il pas de s’effondrer tel un château de cartes ? Jusqu’où ira ce probable effet domino ? La crise aux effets systémiques nous donnera la réponse bien vite. Car dans l'absolue nécessité de cimenter des branches entières pourvoyeuses d'emplois et structurantes de la sphère entrepreneuriale (BTP, hôtellerie-restauration, industrie...), il demeure toute une partie de cet écosystème qui se situe en dessous de la ligne de flottaison et déjà proche de la disparition des écrans radars économiques. Avec des conséquences sociales et humaines en découlant forcément.