Dossier spécial
Le sport au travail : une pratique encore isolée
Renforcer le bien-être des salariés, changer le management des politiques RH, améliorer l’attractivité pour faciliter les recrutements, fidéliser ses équipes, participer à la marque employeur… les objectifs des directions d’entreprises ou de collectivités qui misent sur le sport au travail sont nombreux avec toutefois un point commun : une volonté de changer les codes établis du monde du travail.

Pratiquer une activité physique et sportive pendant ses heures de travail : un rêve pour de nombreux salariés qui manquent de temps et qui, une fois, leur journée professionnelle terminée poursuivent le marathon avec les enfants, sans pouvoir se libérer un créneau dédié au sport. Ce rêve est aujourd’hui devenu une réalité pour les agents travaillant à la Communauté d’agglomération du Grand Verdun. «Un travail avait été engagé dès 2019 par une enquête menée par le service des sports auprès de nos équipes. Mais le coût du projet et l’image de fonctionnaires faisant du sport pendant leur temps de travail avaient conduit à abandonner l’idée», explique Michaël George, directeur général adjoint du Grand Verdun en charge de la nouvelle politique RH. La Covid aura finalement bousculé toutes les certitudes. Face à un taux élevé d’arrêts maladie dite ordinaire le choix s’est porté sur la défense du bien-être et de la santé des agents pour lutter contre les troubles musculosquelettiques, les risques psychosociaux... L’idée a donc été relancée en 2022 pour se concrétiser dès novembre 2023 avec l’ambition de créer une forte adhésion parmi les 400 agents permanents en leur proposant 1 h 30
(ou deux fois 45 minutes) de sport par semaine qu’ils peuvent pratiquer sur leur temps de travail.
Dynamique engagée et compétitivité renforcée
«La réussite d’une telle opération passe par un volontarisme politique mais également un engagement des équipes de directions, toutes convaincues de l’intérêt d’initier des actions sportives», assure Michaël George, ajoutant que les managers doivent «jouer le jeu, prenant conscience que le sport au travail n’est pas une option.» La collectivité a pu bénéficier des ressources logistiques avec ses équipements (centre nautique, différents gymnases…) mais aussi humaines que ce soient l’éducateur sportif de son effectif mais aussi des agents, cadres ou, sportifs reconnus, qui ont décidé de transmettre leurs compétences bénévolement. Le Grand Verdun a également fait appel aux clubs de son environnement immédiat, limitant de fait les coûts engagés. En cumulant les compétences de chacun, 28 créneaux ont été ouverts le matin, sur la pause méridienne qui représente le temps fort ainsi que le soir. La diversité des sports proposés (sports collectifs, individuels, en extérieur, en intérieur…) ou encore le choix des créneaux ont permis d’embarquer près de 40 % des agents. «Nous n’avons pas perdu en productivité du fait de l’absence des agents pour la séance de sport, bien au contraire. La première année, les arrêts maladie ont baissé de 40 %», précise le directeur adjoint. Lutter contre l’absentéisme, oui, mais pas seulement. La transversalité était recherchée en faisant se rencontrer des personnes qui ne se connaissent pas, la qualité de service public rendu à la population a été renforcée. C’est d’ailleurs la plus-value de cette action qui est saluée par le Conseil départemental de la Meuse qui mise désormais sur le sport au travail pour développer sa marque entreprise et renforcer l’efficacité au travail tout en jouant la carte du bien-être de ses agents.
Des freins et des envies
Si le succès est au rendez-vous à Verdun d’autres initiatives marquent les limites du sport au travail dans des secteurs en tension, comme les Ehpad (maisons de retraite médicalisées). En Meuse, la délégation territoriale de l’ARS Grand Est a accepté de financer pendant deux ans en 2021 et 2022 du sport pour les agents du groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) de la Meuse. La mission a été confiée au Comité départemental olympique et sportif (CDOS) de la Meuse qui se chargeait déjà du sport adapté auprès des résidents en perte d’autonomie. «L’idée était de proposer des séances sportives, répondant aux besoins des salariés de treize Ehpad et de six structures médico-sociales du Seisaam avec un message post-covid : Prenez soin de vous», explique son directeur, Jérémie Daumas. 171 salariés ont testé la formule proposée sur un créneau d’une heure trente hebdomadaire (une heure de sport et 30 minutes de préparation). Si du côté des salariés, la quête du bien-être et la prévention étaient visées, les employeurs eux misaient sur un renforcement de l’attractivité de leurs établissements à l’heure où le vivier de candidats au recrutement se raréfie. Sur le terrain, si la dynamique s’est installée dans certaines structures où les directions étaient mobilisées, l’opération s’est toutefois heurtée à la réalité d’un secteur en crise souffrant d’un manque d’effectif chronique. «Il est plus difficile de libérer du personnel quand les équipes ne sont pas au complet», constate le directeur du CDOS 55. C’est aussi pour cette raison qu’une autre formule, plus pragmatique, s’est développée avec deux rendez-vous annuels où des défis sportifs sont lancés aux établissements sous le nom d’Objectif Sport Tour. «Nous nous sommes adaptés en privilégiant la sensibilisation au sport, pour créer de la cohésion dans les équipes en leur délivrant un message : des clubs sportifs existent à proximité», confie Jérémie Daumas.
Démocratiser les pratiques
«On ne peut plus diriger à l’ancienne», c’est la conviction de Thierry Iung, le patron Segor Industries et président du Medef Meuse. Conscient de l’importance de lutter contre la sédentarité de ses salariés qui ne bougent pas derrière leurs machines ou leurs ordinateurs, il a fait aménager une salle de sports dans son entreprise équipée de douches ou encore d’un boulodrome. Autant d’arguments pour attirer de nouveaux jeunes ou fidéliser ses salariés. Si la salle est accessible durant la pause méridienne, Thierry Iung ne s’interdit pas de réfléchir à des utilisations pendant les heures de travail, selon «les besoins des salariés qui doivent concilier vie personnelle et vie professionnelle. La flexibilité, les horaires variables font partie de la marque employeur», analyse-t-il. Si de nombreux dirigeants sont convaincus par l’enjeu du sport au travail sur le principe, peu franchissent encore le pas, faute de moyens financiers, par manque de temps et sans réponse organisationnelle. C’est justement pour cette raison que le Comité régional olympique et sportif (Cros) Grand Est a mis en place depuis deux ans l'opération "Work&Move" qui propose un accompagnement personnalisé aux employeurs qu’ils soient privés, publics ou associatifs. L’offre est gratuite en Alsace et en Moselle financée par le régime local où déjà de nombreuses entreprises ont testé la formule que ce soient AGCO, Amazon, des centres Leclerc. Autant d’initiatives qui essaiment et marquent le changement managérial enclenché dans les entreprises, les associations et les collectivités où le sport s’inscrit dans une stratégie gagnant-gagnant. Encore faut-il que ce levier se démocratise.