Assurances des collectivités territoriales
Le Sénat pointe l’absence de concurrence sur ce marché
Le rapport de la mission d’information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales, diligentée par la commission des Finances du Sénat, émet 15 recommandations. Avec un prérequis : restaurer la concurrence sur ce marché.
Répondre
aux préoccupations des élus locaux qui rencontrent des difficultés
assurantielles. Tel était l’objet de la mission d’information
créée par la commission des Finances du Sénat fin janvier dernier
et qui vient de rendre son rapport.
En un temps record. En l’espace de deux mois, elle a mené
une trentaine d’auditions et effectué plusieurs déplacements sur
le terrain, à la rencontre d’élus confrontés à ce problème.
Elle s’est également appuyée sur les résultats de la
consultation mise en ligne sur le site du Sénat et qui a récolté
plus de 700 réponses.
De
réelles difficultés, et des situations d’urgence
Les
travaux de la mission d’information viennent tout d’abord
confirmer l’ampleur des problèmes rencontrés par les
collectivités territoriales en matière d’assurance :
résiliations unilatérales et non justifiées des contrats, avenants
d’augmentation de cotisations ou de franchise, appel d’offres
infructueux et impossibilité de trouver un assureur… Et il y a
urgence. «Les
difficultés sont grandissantes et, dès le 1er juillet
prochain, un nombre important de collectivités risquent de se
retrouver en grandes difficultés, pour ne pas dire dans l’impasse», a déclaré le rapporteur de la mission d’information, le
sénateur Jean-François
Husson
(Meurthe-et-Moselle),
lors de la présentation à la presse des principales observations et
recommandations de ce rapport.
En
cause, une situation de quasi-monopole
Mais
les conclusions de la mission vont à l’encontre de l’idée selon
laquelle la sinistralité serait le premier facteur de ces
difficultés. «Les travaux ont révélé que les émeutes
de l’été 2023 et les évènements climatiques récents n’ont
été que le révélateur d’un problème préexistant : le
vrai fait préjudiciable aux collectivités est l’atrophie du
marché de l’assurance avec une quasi-absence totale de
concurrence», a-t-il expliqué. Selon la mission, c’est
donc cette absence de concurrence, et non la hausse de la
sinistralité des collectivités, qui est à l’origine des
difficultés rencontrées actuellement. «Sans concurrence,
les collectivités se retrouvent dans une forme d’impasse,
complètement soumises aux décisions de leur assureur, voire à
l’absence d’assureur, sans jamais pouvoir se tourner vers un
concurrent.»
Saisine de l’Autorité de la concurrence
Comment en est-on arrivé là ? Dans la deuxième moitié des années 2010, les tarifs d’assurance des collectivités ont fortement baissé «sous l’effet de la politique tarifaire très mordante de la SMACL», la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales. «Cette guerre des prix, initiée par des assureurs européens qui ont investi le marché des collectivités locales avant de s’en désengager très rapidement, à fait fuir la concurrence et conduit à une situation de quasi-monopole», a poursuivi le sénateur.
Depuis, la SMACL
est devenue l’assureur des collectivités de plus grandes tailles
et Groupama celui des autres collectivités. Cette situation, «à
l’origine de tous les problèmes», a conduit les
sénateurs à saisir l’Autorité de la concurrence. C’est donc à
elle qu’il revient de définir les modalités à même de garantir
le bon fonctionnement du marché. C’est «le prérequis»
pour régler les problèmes actuels : il faut «rouvrir
à la concurrence» et «redonner envie aux
assureurs de revenir».
Permettre
la saisine du Médiateur de l’assurance
Pour
répondre à l’urgence de la situation, la mission d’information
propose d’étendre les compétences du Médiateur de l’assurance,
afin qu’il puisse être saisi par toutes les collectivités qui se
retrouvent, ou vont prochainement se retrouver, sans assurance. Ce
dernier sera alors chargé de tout mettre en œuvre pour parvenir à
assurer les biens de ces collectivités, en dépit du contexte
difficile. Autre recommandation de la mission : obliger les
assureurs à respecter un délai minimal de six mois et à indiquer
le motif de la résiliation, en cas de résiliation unilatérale à
leur initiative.
Les
collectivités doivent disposer d’un inventaire précis de leur
patrimoine
Pour
améliorer leur situation assurantielle, les collectivités doivent,
quant à elles, connaître plus précisément leur patrimoine à
assurer, afin de mieux
identifier les risques, de renforcer les actions de prévention
et de mieux négocier les
garanties et les tarifs. Sur les 713 réponses reçues dans le cadre
de la consultation en ligne, 30% des collectivités ont déclaré ne
pas disposer d’inventaire précis de leur patrimoine. Cela passe
notamment «par un partenariat renoué entre l’assureur
et la collectivité, dans l’intérêt commun des deux parties»,
a souligné le rapporteur.
Un
rôle plus interventionniste de l’État
La
mission d’information estime, par ailleurs, que l’État – et
plus précisément, la direction des Affaires juridiques du ministère
de l’Économie et des Finances – a un rôle à jouer pour
sécuriser les conditions juridiques de passation des marchés
publics d’assurance. Objectif : permettre un meilleur dialogue
entre collectivités et assureurs au sein de la procédure d’appel
d’offres ou autoriser le recours à une autre procédure, tout en
garantissant sa sécurité juridique. La mission propose aussi que
l’État puisse intervenir lorsque les collectivités sont touchées
par des émeutes – une réforme qui doit nécessairement passer par
la voie législative.
D’autres
défis assurantiels à relever
De
leur côté, les réassureurs, qui «ont admis avoir leur
part de responsabilité » pour avoir suivi le mouvement,
« sont confiants sur le fait qu’il y a un marché»,
a précisé le sénateur. Et «comme eux-mêmes ont durci
leurs conditions de protection et de sécurité et revu leurs
conditions tarifaires, les ajustements vont se faire».
Ces derniers ont, par ailleurs, alerté les membres de la mission d’information sur d’autres problématiques assurantielles actuelles : «les évènements climatiques, le risque cyber et les émeutes et mouvements populaires», qui sont «des risques aujourd’hui insuffisamment matures et difficiles à maîtriser», mais «c’est l’affaire de tous».
Assurances : un guide pratique destiné aux collectivités
Dans le cadre de cette mission d’information, l’AMRAE (Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise) a réalisé un guide pratique à destination des collectivités territoriales sur les procédures de passation de leur marché d’assurance et leurs relations avec les assureurs. Il est destiné aux élus et aux équipes en charge de ces questions au sein des collectivités.