Le recyclage textile : un tournant stratégique
Développer l’innovation, stimuler l’action économique et la création d’emplois dans le champ du recyclage textile, tel est le projet ambitieux de quatre pôles d’excellence, Cd2e, T2M, TEAM2 et UP-tex, nichés au cœur du Nord-Pas-de-Calais. Berceau des acteurs majeurs de la distribution de l’habillement et du linge de maison ainsi que du Relais, la région est donc en mesure d’impulser la reconversion d’une filière effilochée et de tisser un nouveau marché économique et environnemental.
Si l’idée du recyclage textile existe depuis plusieurs décennies, il aura fallu du temps pour qu’elle s’inscrive réellement dans le schéma de l’économie verte et qu’elle germe dans la conscience collective. “La première fois que j’ai expliqué que notre gamme de pulls camionneur était produite à partir de fibres recyclées, beaucoup ont suspecté la qualité de la marchandise et n’étaient pas convaincus par l’idée du recyclage”, se souvient Bernard Lejour, directeur de la société éponyme d’effilochage à Tourcoing. Avec plus de 100 ans d’expérience, l’une des deux filatures lainières restant dans l’Hexagone va prochainement mettre sa vieille effilocheuse à contribution pour procéder à des tests sur des fibres synthétiques. Appuyer ainsi les compétences des acteurs du textile de l’Eurorégion afin de les accompagner vers une mutation privilégiant le recyclage et le développement de nouvelles matières, c’est l’un des enjeux de la création de la Vallée du recyclage textile, soutenue par l’organisme Eco TLC et fondée symboliquement le 5 juin dernier dans le cadre du salon Environord.
Valoriser et révolutionner la filière du textile. En réalité, cette stratégie commune a été impulsée par le projet Calafil, parfaitement tricoté depuis plus de trois ans. Ce dernier, labellisé par TEAM2 et UP-tex, consiste à valoriser les déchets des matières textiles les plus répandues sur le marché international (coton, polyester, viscose, polyamide et acrylique). C’est le cas du créateur mondial n°1 des textiles outdoor. “Nous proposons une gamme de tissus d’ameublement composée à 50% de fibres acryliques teint masse recyclées. Cette matière provient des déchets récupérés à l’usine mère, en Amérique du Nord. Ils sont divisés en groupe de couleur puis ramenés à l’état de fibre avant d’être mélanger à de la fibre neuve. Par ailleurs, l’usine fait aussi de la collecte sur le territoire américain mais nous n’intégrons pas encore ces produits de deuxième main dans notre production”, explique Patrick Raguet, le directeur commercial de Dikson. Au total, sept acteurs (Cardon Tradilingue, Mortelecque, Utti Yarns, Lejour, Noyon dentelle, Codentel et Dickson) se sont associés pour produire de nouveaux articles à partir de leurs chutes de production. L’innovation en matière de recyclage intègre aussi le fleuron du textile technique et toute la richesse d’un écosystème. “Le textile est devenu un matériau transversal, utilisable dans de très nombreux secteurs comme les transports, la médecine, l’électronique… Ce qui implique de se mettre en réseau avec d’autres compétences. Nous avons tous les moyens disponibles en R&D grâce au CETI, un outil de recherche majeur dans les technologies du tri des fibres, de filage et des textiles non tissés très importants pour le recyclage, souligne Marc Honoré, directeur général du Centre européen des textiles innovants (CETI) et du pôle de compétitivité UP-tex. Surtout que les deux tiers du volume français passent par les entrepôts nordistes.” La région, qui porte en son sein les compétences industrielles et les leaders de la VAD, est donc au premier rang pour nourrir l’innovation et révolutionner la filière traditionnelle. Cependant, la mise en route est longue. “Par ailleurs, il faut réfléchir sur les procédés de création, à la base, afin de faciliter le recyclage. Mais en ce qui concerne l’habillement, ce n’est pas simple, car la fabrication est réalisée majoritairement à l’étranger”, précise Christian Traisnel, directeur général du Cd2e et de TEAM2.
Augmenter la collecte pour plus de rentabilité. Gravir la montagne de l’éco-conception est l’une des routes à emprunter, tout comme grossir le volume de la collecte. Avec 2,2 kg de textiles récupérés par an et par habitant dans l’Hexagone (sur 12 kg jetés par an et par habitant), contre 5 kg en Belgique, 6 en hollande et 7 en Allemagne, la France accuse donc un retard en la matière, dû à un manquement culturel et sociétal selon l’ensemble de la cheville ouvrière. Pourtant, le Relais, né en région, œuvre pour la collecte et le tri depuis 30 ans sur l’ensemble du territoire national et a signé par ailleurs un partenariat avec Minot recyclage textile, une entreprise régionale, depuis janvier dernier. En Nord-Pas-de-Calais, 12 000 tonnes de textiles ont été traitées en 2012, dont 55% sont partis sur le marché de la fripe, répartis sur les 25 boutiques Ding Fring et à l’export. Et 35% des vêtements collectés (majoritairement en coton) ont été valorisés pour devenir chiffons ou de la matière première servant à la fabrication d’une gamme d’isolation thermique et acoustique pour le bâtiment, le Métisse®. Puis, la part restante a été utilisée pour le B.A-BA, objets et textiles rénovés par la technique du flocage ou pour la R&D afin de limiter les déchets. Mais si le Nord est plutôt bon élève, en France, sur 700 000 tonnes d’articles de textiles d’habillement, linge de maison et chaussures (TLC) vendus, seules 150 000 tonnes sont recyclées (soit 2 kg par habitant) et 128 000 tonnes, triées dans les centres Eco TLC pour partir généralement en Afrique ou en friperies (10%). Un gisement trop peu exploité, qui devient peu à peu une priorité. “Depuis deux ans, il y a une forte implication des collectivités locales en vue de renforcer la collecte et la valorisation des TLC. D’ailleurs, nous avons prévu, par exemple, d’installer prochainement 500 conteneurs supplémentaires en métropole lilloise, évoque Pierre Duponchel, le président fondateur du Relais. Cependant, le recyclage est plus difficile dans notre pays pour cause de raison culturelle mais aussi de la valeur intrinsèque de la collecte française qui est deux fois moins importante qu’en Allemagne, trois fois moins qu’en Angleterre et quatre fois moins qu’en Suisse.”
Quelle feuille de route ? Les produits issus du recyclage devraient pourtant devenir une mine d’or d’ici cinq ans, surtout que les matières premières pourraient flamber rapidement. “C’est un enjeu économique et non plus une simple vision éthique, avec, entre autres, un fort potentiel de différentiation sur le marché, un facteur de relocalisation de l’activité et un enjeu écologique. Pour les projets innovants, le savoir-faire sera propre à chaque entreprise mais profitera à l’ensemble des collaborateurs”, conclut Marc Honoré. La Vallée, qui n’a pour le moment aucune structure juridique, espère malgré tout participer à l’orientation d’Horizon 2020 (le programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne). Malgré une feuille de route encore un peu légère, les acteurs prévoient de faire, outre une forte sensibilisation, un état des lieux sur les innovations étrangères et présenter leurs résultats lors d’un colloque prévu en février 2014. L’innovation sera, quant à elle, financée par les appels à projets d’Eco TLC, de l’ADEME, de la Région ou du programme européen INTERREG. A suivre…
UP-tex renforce son ancrage sur les marchés
Le pôle de compétitivité dédié aux matériaux textiles avancés labellisés par l’État en 2005, s’engage dans sa troisième phase d’action. Une volonté commune avec celle de l’État qui vise à valoriser les déchets textiles et le renouveau industriel par la recherche et la mise en marché de ces innovations. Cette ambition est aujourd’hui partagée par les 140 membres d’UP-Tex, dont des entreprises innovantes, grandes ou petites, des laboratoires de recherche et des universités. Implanté en région, en résonance avec la Picardie et l’Euro-région, ce pôle accompagne le développement de nouveaux produits, services et procédés, en plus d’être créateur d’emplois. Avec 116 projets labellisés à son actif, Up-Tex se mobilise pour amplifier son action et susciter l’innovation à l’international.