Le métier d'acheteur radicalement redessiné ?

Confrontés aux difficultés d'approvisionnement, les acheteurs ont été en première ligne durant la crise. La pandémie va-t-elle modifier durablement leur manière de travailler ? La prime au moins disant va-t-elle laisser place à des stratégies qui intègrent les risques nouvellement identifiés ? Possible, mais pas gagné d'avance, d'après l'Adra, Association des directeurs et responsables achats.

Sur le terrain, durant la crise, les difficultés d'approvisionnement ont touché plusieurs types de produits, au premier rang desquels les équipements en protections individuelles. © LEO
Sur le terrain, durant la crise, les difficultés d'approvisionnement ont touché plusieurs types de produits, au premier rang desquels les équipements en protections individuelles. © LEO

64% des acheteurs en France estiment que la crise a grandement impacté leurs chaînes d’approvisionnement. C’est l’une des révélations de l’étude «Impacts présents et futurs de la Covid-19 sur les chaînes d’approvisionnement et les pratiques achats : retours d’expérience et enseignements pour l’avenir». Cette dernière a été menée, pour l’essentiel, auprès de grandes entreprises, par BuyYourWay, cabinet de conseil en achats responsables, pour le compte de l’Adra, Association des directeurs et responsables achats et la Médiation des entreprises. Lesquelles l’ont rendue publique lors d’une conférence de presse téléphonique, le 16 juin dernier.
Sur le terrain, durant la crise, les difficultés d’approvisionnement ont concerné différentes provenances : l’Asie, même si la Chine a redémarré rapidement, mais aussi l’Europe (Italie, notamment). Elles ont touché plusieurs types de produits, au premier rang desquels les équipements en protections individuelles, mais aussi d’autres, comme ceux faisant l’objet de réquisitions par l’État (éthanol, glycérine, textile non tissé….). Face à cette situation exceptionnelle, les acheteurs se sont trouvés dans certains cas démunis : plus de la moitié (55%) d’entre eux admettent avoir réalisé qu’ils avaient une connaissance insuffisante des acteurs de leur chaîne d’approvisionnement. Mais ceux qui sont déjà engagés dans une démarche d’achats responsables s’en sont mieux sortis, d’après l’étude : parmi eux, 8 sur 10 estiment que ce préalable a facilité la gestion fournisseur, dans un contexte devenu critique. Autre évolution, 85% des responsables achats ont collaboré de manière plus étroite avec la direction financière de l’entreprise. Résultat, pointe Fanny Benard, directrice associée de BuyYourWay, la crise a permis une véritable «prise de conscience», des dirigeants d’entreprise à propos du caractère critique des problématiques d’approvisionnement, de l’importance de la fonction achat, et de la nécessité de faire évoluer la compétence de ceux qui l’exercent.

«La fenêtre de tir va être éphémère»

Y-a-t-il là l’amorce d’un changement durable du métier ? La majorité des sondés estiment que la crise a mis en exergue des risques nouveaux, au premier rang desquels les ruptures d’approvisionnement et risques liés au transports. Huit sur 10 en tirent des conclusions sur la nécessité de renforcer certaines compétences des acheteurs, comme celle de la gestion des risques. Par ailleurs, certains nourrissent déjà des projets : 30% entendent mettre en place, à court ou moyen terme, une stratégie de renforcement de la traçabilité et de la transparence des achats, 25% envisagent une relocalisation et 20% une revalorisation de la performance RSE des fournisseurs, ou encore l’intégration de nouveaux critères de choix des fournisseurs, autres que le plus bas coût. «Nous passons d’une fonction perçue de manière caricaturale à la réduction des prix, à un rôle de responsabilité», sur un sujet repéré comme vital pour l’entreprise et dense d’enjeux en matière de RSE, estime Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, en commentant l’étude. Il espère que le contexte va favoriser le développement des pratiques d’achats responsables. Plusieurs outils – portés par la Médiation – existent pour encourager les entreprises à aller dans ce sens. Comme la «charte relations fournisseurs responsables» qui compte environ 2 000 signataires. Ou encore, le label «relations fournisseurs et achats responsables» (RFAR) qui distingue les entreprises ou entités publiques ayant fait la preuve de relations durables et équilibrées avec leurs fournisseurs (une cinquantaine de signataires).
Aujourd’hui, d’après l’étude BuyYourWay, 65% des sondés estiment que la crise va repositionner stratégiquement la direction achats dans l’entreprise.Toutefois, en matière de changements, «la fenêtre de tir va être éphémère», prévient Sylvie Noël, présidente de l’Adra, qui redoute un «retour à la routine». D’autant que, pointe-t-elle, les acheteurs ne peuvent pas réaliser ce changement seul dans l’entreprise. «Nous sommes les exécutants d’une stratégie», rappelle la présidente de l’Adra, évoquant, en particulier, le rôle des directions métiers, souvent décisionnaires dans les achats.