Le mécénat redoute le «monde d'après»
Les entreprises se sont montrées exceptionnellement solidaires durant la pandémie, et ont inauguré de nouvelles méthodes d'action, d'après une étude publiée par Admical. Vont-elles être en mesure de poursuivre leur effort ? Le monde associatif s'inquiète...
Après l’important élan de solidarité des entreprises durant la pandémie, un avenir très incertain se profile. Le 23 juin, lors d’une conférence de presse, l’Admical, qui regroupe quelque 200 entreprises mécènes, publiait une étude réalisée entre avril et juin, principalement auprès de grandes entreprises, sur ce sujet.
Tout d’abord, note Diane Abel, responsable des études chez Admical, durant la crise, 95% des entreprises interrogées se sont engagées, pour un montant évalué à 400 millions d’euros environ. Au niveau de la nature de l’aide apportée, «les besoins ont évolué au cours des semaines, sur les volets sanitaire et social», poursuit Diane Abel. Sur le plan sanitaire, dès les premiers jours, les entreprises se sont concentrées sur des besoins comme une production très rapide de masques et le financement de la recherche. Un tiers des entreprises interrogées ont fait des dons pour ce secteur, habituellement délaissé par les mécènes. Dans un deuxième temps, elles se sont mobilisées pour soutenir les soignants ou produire des matériels sophistiqués (respirateurs artificiels). Dans un troisième temps, enfin, les entreprises se sont tournés vers les Epadh, les aides-soignants et les professionnels libéraux.
Pour le volet social aussi, les actions de solidarité ont connu plusieurs étapes. Après la priorité des premiers jours donnée aux populations vulnérables, avec de l’aide alimentaire ou des dons de kit d’hygiène, une nouvelle priorité est apparue : celle de l’accompagnement de jeunes en décrochage scolaire. Ensuite, les entreprises se sont engagées pour les causes de l’isolement des personnes âgées et des femmes victimes de violence. Deux populations qui sont restées en second plan, une tendance «problématique» constatée déjà avant la crise, pointe Diane Abel. Pis, des causes ont été délaissées : c’est le cas de celles à l’international, qui a concerné 42% des entreprises, soit 13 points de moins par rapport à l’engagement habituellement mesuré par le baromètre d’Admical. Deux explications à cela, analyse Diane Abel : «le niveau d’urgence en France» et «les difficultés logistiques liées aux contraintes sanitaires» pour les déplacements à l’étranger.
On est au-delà du mécénat
En termes de modalité des aides, poursuit Diane Abel, «les entreprises n’ont pas abandonné leurs partenaires habituels» : la moitié des mécènes ont consacré plus de 60% de leur budget aux petites associations locales. A la Caisse d’Épargne, par exemple, les 15 caisses, autonomes dans leur gestion, ont donné un total de 1,6 million d’euros aux associations de proximité qu’elles soutiennent habituellement, comme les Banques alimentaires. «Nous disposions de deux millions de masques, nous les avons distribués, par exemple à des CHU régionaux», ajoute Sylvain Maschino, chargé de projets engagement sociétal au sein de la Fédération Nationale des Caisses d’Épargne.
Autre constat de l’étude concernant les modalités de l’aide, «l’action collective a montré ses effets», souligne Diane Abel. Par exemple, 8 millions d’euros ont été récoltés auprès de 70 000 donateurs, au profit d’une multitude de projets, sur la plate forme Don-coronavirus.org. Celle-ci a été lancée par HelloAsso avec Ulule, KissKissBankBank et Givexpert, des plateformes de financement participatif. Autre exemple, quatre grands industriels – Air Liquide, Schneider Electric, Valeo et le Groupe PSA – se sont associés en un consortium pour produire 10 000 respirateurs artificiels, lesquels ont été fournis à prix coûtant, et avec l’aide d’une centaine d’autres entreprises… Autant d’actions qui illustrent une tendance majeure : durant la crise, la solidarité des entreprises a pris des formes très diverses, qui dépassent le cadre du mécénat. C’est le cas pour 87% d’entre elles, d’après l’étude. Parmi les modes d’action qu’elles ont privilégiés, figurent ainsi la mobilisation des ressources de l’entreprise (47%), le renforcement de la communication sur les besoins des associations (42%) et la mobilisation du réseau (40%), mais aussi le fait de renoncer aux aides publiques (33%), voire, de diminuer la rémunération de leurs dirigeants (22%).
Demain, qui va financer les associations sportives ?
Au total, la pandémie a donc profondément amplifié et diversifié les modalités d’engagement des entreprises. Mais qu’en sera-t-il demain, dans le contexte de besoins immenses qui s’annonce? Les entreprises vont-elles poursuivre leur effort, et sous quelle forme ? En dépit de leurs propres difficultés durant la crise, 63% des entreprises ont conservé le budget qu’elles consacrent habituellement au mécénat. Pour la suite, «dès l’an prochain, les budgets qui sont en régie directe peuvent être réajustés. Lorsqu’ils sont gérés par une fondation, cela pourra se faire à échéance du mandat», analyse Diane Abel.
Et, au delà des sommes engagées, ce sont les causes soutenues qui pourraient évoluer : 41% des entreprises ont déclaré entrer en réflexion pour faire évoluer leurs axes d’intervention et 7% affirment déjà qu’elles investiront de nouveaux domaines. «Il y a beaucoup d’inquiétude chez les associations. Certaines ont déjà constaté une baisse des dons, alors que celles dont les thématiques étaient au cœur de l’urgence ont connu une augmentation. En termes de domaines d’intervention, les cartes vont être rebattues», souligne Sylvaine Parriaux, déléguée générale d’Admical. En particulier, les domaines de la culture, du sport et de l’écologie pourraient souffrir de désaffection. Un phénomène qui pourrait être accentué par la fiscalité : celle-ci favorise les dons dirigées vers les structures relevant de la loi Coluche (social) en autorisant une réduction fiscale de 75% des montants, contre 60% pour les autres organismes d’intérêt général .
Déjà, le monde associatif tire la sonnette d’alarme : d’après une enquête réalisée par le Mouvement Associatif, les associations connaissent de nombreuses difficultés financières : une sur cinq rencontre des problèmes dans le maintien de ses partenaires, et une sur quatre dispose de moins de trois mois de trésorerie. Et 30 000 d’entre elles n’écartent pas l’hypothèse de devoir fermer leurs portes.