Le loyer des commerces face à la crise
Entre le 17 mars et le 11 mai 2020, l'Hexagone a connu un confinement généralisé durant lequel seuls les commerces essentiels pouvaient ouvrir leurs portes. Pendant cette période économique inédite depuis 1968, la France a perdu 6% de son PIB, l’exécutif a alors suscité l’ouverture des négociations entre bailleurs et preneurs sur le report des loyers. Une mission de médiation des loyers a même été confiée à un haut fonctionnaire. Mais qu’adviendra-t-il des loyers des baux en cours ou à terme ? La valeur statutaire doit-elle être impactée par ce contexte particulier ?
Les mesures actuelles impacteront-elles dans le temps les modes de consommation et les flux de chalands ? Y aura-t-il à long terme une évolution des canaux de distribution ? L’adaptation nécessaire du commerce physique pourrait-elle justifier économiquement une baisse des loyers ?
La baisse des ressources disponibles dirigées vers la consommation devrait également entraîner une diminution des valeurs locatives statutaires puisque le niveau de chiffre d’affaires réalisé avant la crise serait alors difficilement atteignable. L’augmentation des charges externes, si les mesures de report ne se concrétisent pas en annulation, pèsera sur le taux d’effort que le commerçant pourra supporter pour assumer son loyer.
A l’inverse, le propriétaire est contraint à la conservation d’un niveau haut de loyer. Ce niveau peut être en lien avec le financement du bien, mais surtout le loyer effectif est directement lié à la valeur vénale de celui-ci. Si le maintien de valeurs locatives fortes ne correspond plus à ce que peut supporter le commerçant, le taux de rendement attendu sera rehaussé au vu du risque d’impayés, voire de vacance du bien.
A contrario, un loyer fixé à la baisse impactera «cash» la valeur vénale du bien. C’est en réalité tout l’enjeu de cette fixation du loyer à la baisse pour les bailleurs ; le statut prévoit le principe de la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative, l’exception étant que celle-ci ne doit pas être supérieure à la variation indiciaire. Il n’existe pas de plancher, alors que le déplafonnement nécessite la démonstration d’un motif souvent difficile à établir. Les prix couramment pratiqués dans le voisinage, support de la détermination de la valeur locative statutaire, sont constitués de situations locatives existantes comprenant des nouvelles prises à bail ainsi que des renouvellements déplafonnés.
Une valeur théorique impactée ?
Ce panel permet généralement d’observer une différence de l’ordre de 10 à 30% entre le marché (représenté par le prix négocié) et le statut (représenté par la valeur fixée). Toutefois, ces termes de comparaison sont conclus antérieurement à la date de référence sur une période plus ou moins longue suivant la profondeur du marché et les disponibilités.
Du fait de la crise sanitaire, les éléments de comparaison antérieurs seront en définitive «has been» et l’expert immobilier aura peu de recul pour apprécier l’importance des conséquences économiques.
La valeur théorique pourrait être impactée sur la base de l’évolution de la capacité contributive du locataire en démontrant la différence du taux d’effort du preneur avant et après crise sanitaire, même si ce mécanisme est délicat.
L’article L.145-33 du Code de commerce dispose que les obligations des parties servent à la détermination de la valeur locative. Les conséquences de la crise pourraient entraîner une évolution de ces obligations en déséquilibrant l’économie du contrat par une charge locative bien plus importante que ce qui avait été négocié initialement. Or, la valeur locative de renouvellement doit prendre en compte l’historique des relations contractuelles entre bailleur et preneur.
In concreto, les particularités de chaque exploitation auront encore plus de poids dans la détermination de la valeur locative statutaire déterminée par le juge, après avis de l’expert désigné. D’autres mécanismes alternatifs connus, comme la conciliation, l’arbitrage ou la médiation, sont aussi adaptés aux règlements des différends des baux commerciaux. Ils auraient le grand mérite, dans la situation actuelle, d’être très efficaces économiquement, mais notre culture du contentieux est encore un obstacle.
Annabelle LEBLOND et Jean-Jacques MARTEL, docteur en droit, expert immobilier agréé par la Cour de cassation