Le lancement d’un nouveauproduit : l’exposition Boilly

A l’image d’une entreprise qui lance un nouveau produit, une exposition suit quasiment le même processus. La Gazette a obtenu l’autorisation exceptionnelle de dévoiler les coulisses de l’exposition Boilly. Que se passe-t-il avant l’inauguration ?

Tout a commencé il y a cinq ans, avec l’idée d’une exposition Boilly, proposée par Annie de Wambrechies, conservatrice en chef chargée des départements des XVIIIe et XIXe siècles au palais des Beaux-Arts. “A ces cinq ans, il faut rajouter le travail précédent des chercheurs et universitaires sur le sujet. Une exposition a besoin de temps pour mûrir et se bâtir. Ce n’est pas possible d’en faire une en deux ans, sinon c’est du collage, ce n’est plus de l’histoire de l’art !” explique Alain Tapié, conservateur en chef du patrimoine, directeur du PBA et de l’hospice Comtesse, qui aff irme avoir lui aussi travaillé dix ans avant de lancer l’exposition Champaigne. C’est le temps des recherches fondamentales : aux archives pour connaître les sources et les appartenances des oeuvres, dans les bibliothèques pour comprendre le contexte historique. C’est la tâche d’Annie de Wambrechies et de Florence Raymond, attachée de conservation, chargée du département XVIIIe siècle, toutes deux commissaires de l’exposition – responsables produit, en quelque sorte.

Imaginer le bon produit au bon moment. Pourquoi Boilly (1761-1845) et pourquoi maintenant ? Parce que le musée lillois possède une trentaine de tableaux et dessins de ce peintre natif de La Bassée et que “notre mission première est de faire connaître notre patrimoine – le nôtre est important – et de le mettre en valeur”, répète inlassablement Alain Tapié. Et parce qu’il n’y avait jamais eu de rétrospective sur ce peintre français qui s’arrache aujourd’hui dans les musées étrangers, surtout russes et américains, après avoir fait les délices du public de son époque et des musées français où ses tableaux sont très présents. Le moment est donc bien choisi et il allait de soi que cette rétrospective se fasse sur les terres de naissance de Boilly. Le produit était donc manquant, il est attendu et est lancé par l’entreprise légitime.

Concevoir un produit de qualité. Une exposition de qualité se traduit à la fois par l’importance des oeuvres tant quantitative que qualitative, mais aussi par le travail scientif ique qui est réalisé sur le peintre et son oeuvre.

Pendant leurs recherches, les deux commissaires de l’exposition vont donc constituer un corpus d’oeuvres à choisir et déf inir exactement l’orientation de leur exposition. “Il peut y en avoir trois différentes : une thématique, comme avec ‘Echappées nordiques’ ; une iconologique qui met en oeuvre la fonction de la peinture, comme le décoratif par exemple ; et une monographique, comme pour Boilly”, précise Alain Tapié. En plus de leur travail de recherche d’informations sur le contexte historique, politique et sociologique du peintre de La Bassée qui a vécu pendant la période compliquée de la Révolution française, les deux spécialistes vont faire appel aux prêteurs des tableaux identifiés (des musées et des particuliers). Au total, 190 oeuvres ont pu être rassemblées pour l’exposition, au cours des deux ans précédant l’exposition. “Nous ne savions pas du tout si les musées étrangers, surtout américains, accepteraient de nous prêter leurs oeuvres. Leur réaction très positive a été très encourageante pour nous”, raconte Florence Raymond. Résultat, les musées prêteurs étrangers sont nombreux (vingt) et prestigieux. Treize oeuvres viennent de onze musées des Etats- Unis, comme la National Galery de Washington, ou le Getty Museum de Los Angeles. Le Louvre, qui consacre une salle entière à Boilly, a prêté dix oeuvres, et le musée des Arts décoratifs a concédé l’un de ses chefs-d’oeuvre, L’Atelier de Houdon. “Décrocher des oeuvres dans un parcours muséal n’est pas anodin pour un musée et peut être considéré comme un manque. A nous de justifier l’importance du prêt pour la qualité de l’exposition. Et parfois, il faut savoir laisser un tableau important pour en avoir un autre”, explique la jeune attachée de conservation, diplomate et bonne négociatrice. A ce travail, s’ajoute encore la conception d’un audioguide en deux langues pour l’exposition. La qualité du produit est donc assurée, voire renforcée par un service adjoint.

Etablir un budget.Rien n’est figé au niveau budgétaire jusqu’à l’établissement de la liste des tableaux, environ un an et demi avant le début de l’exposition”, raconte Anne- Françoise Lemaître, directrice du développement et de la communication. “Ce qui coûte le plus, c’est le transport des oeuvres et leur assurance, plus élevée si l’oeuvre est célèbre. Vient ensuite l’aménagement muséographique : il est très important puisqu’il est le système de compréhension de l’exposition. Arrivent enfin le coût du catalogue – entre 50 000 et 70 000 € (80 000 € pour celui de Boilly) – et la communication, qui est souvent le seul poste que l’on peut réduire”, détaille Alain Tapié, sans oublier le coût des audioguides en deux langues. Pour Boilly, le total s’élève à 1 M€.

Une fois ce budget prévisionnel établi et validé par la Ville de Lille, il s’agit ensuite de le concrétiser. Les pouvoirs publics locaux, régionaux et même nationaux y participent à hauteur différente : 200 000 € pour la Ville de Lille, 50 000 € pour LMCU (pour de toutes nouvelles actions hors les murs sur le territoire des Weppes, où est né Boilly), 30 000 € du ministère de la Culture et de la Communication pour le “Label d’intérêt national” donné à l’exposition, 12 500 € de la Région.

Pour se rapprocher du compte, le mécénat est une autre source très importante de financement. C’est l’affaire d’Anne-Françoise Lemaître. “Nous limitons volontairement les grands mécènes au nombre de quatre, sans doublon d’activité.” Pour Boilly, le Crédit du Nord est mécène principal (et historique). Il est accompagné d’Eiffage, de Grand Thorton et de l’étude généalogique Masson. Si le dernier est lillois, les deux autres sont parisiens et nouveaux partenaires arrivés par eux-mêmes au musée, “avec une volonté de décentralisation et de fidélisation” souligne la directrice du développement et de la communication en ajoutant que le Crédit du Nord a mis le montant de deux années de mécénat pour cette exposition. Au total, 150 000 € ont pu être récoltés grâce au mécénat. Une manne indispensable pour les musées aujourd’hui, sans laquelle toute exposition est impossible, aux dires d’Alain Tapié. S’y ajoute le partenariat qualifié de “très impliqué” de la société d’agents de change Dubus qui a participé aux coûts du catalogue. Sans oublier la participation financière des Amis du musée pour les audioguides en deux langues, une nouveauté lancée pour “Portraits de la Pensée” qui a beaucoup plu et qui sera réalisée aussi pour les collections permanentes du musée en trois langues. Le budget prévisionnel estime aussi les gains de la billetterie espérés à plus de 400 000 € (soit 80 000 entrées, visites guidées comprises, comme pour la rétrospective Champaigne) pour pouvoir rentrer dans les comptes. Le budget est donc équilibré. Reste à le boucler, avec le succès attendu de l’exposition.