Le duty free, une aubaine pour le Calaisis ?
Les boutiques détaxées et le dédouanement devraient faire leur retour entre la France et l'Angleterre... Une annonce qui donne une bouffée d'espoir au Calaisis dans une période où l'on avait besoin de bonnes nouvelles.
C’est donc acté : le 1er janvier prochain, après 19 ans d’absence, le duty free fera son retour, et avec lui toutes les conséquences qu’il peut occasionner sur le Calaisis. Les acteurs du territoire se réjouissent de ce retour, des élus aux entreprises chargées de l’exploitation du transmanche. Parmi les concernés, la Société d’exploitation des ports du Détroit (SPD). «C’est une excellente chose. Il est surtout indiqué que les produits pourront être importés en plus grand nombre», commente Jean-Marc Puissesseau, président de la SPD, qui tient tout de même à pondérer un enthousiasme plutôt général : «Nous devrions connaître une augmentation du trafic en 2022. Encore faut-il que ça circule…»
Fluidifier le trafic transmanche
Car si les compagnies maritimes vont pouvoir profiter de ces boutiques hors taxes, la fluidité du trafic entre Calais et Douvres doit être de mise pour que le Détroit ne soit pas engorgé. «Si nous avons le duty free sans avoir la fluidité du trafic, nous perdrons beaucoup plus que ce que nous pourrons gagner avec son installation», déclarait de son côté Pierre-Henri Dumont, député de la 7e circonscription du Pas-de-Calais, chez nos confrères de BFM Grand Littoral. L’élu voudrait d’ailleurs voir une zone détaxée la plus large possible, «au niveau de l’agglomération et de la ville de Calais». Il faudrait, selon le député (LR) du Calaisis, que les «contrôles [soient] plus rapides et plus fluides, pour faire en sorte que les complexités douanières soient abaissées au minimum».
Les travaux sur le port de Calais se font en ce sens, pour pouvoir effectuer les contrôles nécessaires afin de rendre le trafic plus rapide entre la France et l’Angleterre. «Notre chance, précise Jean-Marc Puisssesseau, c’est que le nouveau port sera terminé en mai 2021, avec l’arrivée de trois nouveaux bateaux.» Du côté du tunnel sous la Manche, on se réjouit aussi de la nouvelle. «Nos clients vont être ravis de ce retour, particulièrement par l’augmentation des montants d’achats autorisés qui vont être multipliés par quatre, détaillait John Keefe, directeur des affaires publiques chez Getlink, sur l’antenne de France Bleu Nord. Les Britanniques vont pouvoir rentrer chez eux avec beaucoup plus de produits français, notamment des vins.»
La mémoire du territoire
Jusqu’en 1999, le Calaisis a connu le duty free. On se souvient, ici et là, de cette période où les Britanniques faisaient la traversée pour la journée. «Les passagers faisaient plus d’allers-retours pour acheter à bord du duty free et venir se promener dans Calais, commente le président de la SPD. Cela permettait de rentabiliser leur traversée sur l’argent économisé avec les achats. Ça risque de revenir.» Ce qui profitait aux compagnies maritimes, mais aussi aux commerces et aux restaurateurs. Le président de l’UMIH à Calais, Hervé Lefebvre, était déjà restaurateur. Il se rappelle : «Cela représentait une masse de clientèle anglaise qui venait pour la journée. Ces ‘day trippers’ consommaient du pain, du fromage, et venaient consommer dans les cafés calaisiens. On faisait des services de 11h jusque minuit ; tout l’après-midi on faisait le plein avec les Anglais.»
Des clients qui représentaient environ 20 à 25% de chiffre d’affaires en plus, sans compter les fournisseurs, qui en profitaient eux aussi. «Le duty free dopait le trafic passagers de court séjour qui faisaient un aller-retour pour moins de 72 heures, se rappelle la maire de Calais, Natacha Bouchart. Ces touristes venaient uniquement parce que la traversée était à un coût très bas, ils pouvaient représenter environ 35 à 40% des passagers. Ils venaient pour manger, acheter des produits à des prix attractifs (du vin, de la bière, des spiritueux…). Ça a dopé l’activité du quotidien, les compagnies maritimes ont pu profiter de ces courts séjours. À partir du moment où on a des produits à -20% et plus dans la zone du duty free, ça restera attractif.»
Le Calaisis se prépare
Les différents acteurs du territoire s’accordent sur le fait que les Britanniques devraient donc venir nombreux à Calais et sur la Côte d’Opale. Il faut donc se donner les moyens de les accueillir. Le président calaisien de l’UMIH semble confiant : «Nos entreprises parlent anglais, on a des menus en anglais.» En effet, la Ville a mis en place une école des langues en 2017 pour, entre autres, faciliter les échanges entre la population calaisienne et les touristes britanniques, et profiter de la manne d’emplois touristiques qui pourraient être liés à cette arrivée de touristes.
Mais le territoire doit maintenant s’organiser face aux nouvelles règles. La maire de Calais veut les anticiper : «Il faut préparer les commerçants au dédouanement (une procédure qui permet aux passagers de se faire rembourser la TVA à la douane sur les produits achetés, sur présentation de justificatifs, ndlr). Il faut que ces derniers soient équipés, mais il faut aussi les préparer et les accompagner. Au moment de l’achat, le commerçant ou le client doit remplir un formulaire de dédouanement, ensuite le formulaire est scanné sur des bornes disposées au port et au tunnel. Nous avons donc passé une information aux commerçants, mais nous sommes aussi en train de prospecter afin de voir s’il y a des start-up qui proposent une solution clés en main.» Une opportunité de plus à saisir sur le territoire ?
Une concurrence venue de Belgique ?
L’une des inquiétudes face au Brexit serait de voir la Belgique prendre une partie de ce trafic de passagers venus de Grande-Bretagne. Des ports belges sont en effet en position pour voler la vedette à la Cité des Six-Bourgeois. Si la ville s’est dotée d’un dragon majestueux pour booster son attractivité touristique – attraction qui paraît calibrée pour les voyageurs d’un jour – il faut par ailleurs faire en sorte que le trafic soit fluide pour garder l’avantage de la proximité géographique qu’a Calais par rapport à d’autres ports, plus éloignés des côtes anglaises. Natacha Bouchart, pour sa part, reste confiante : «Nous aurons toujours l’avantage d’être face à l’Angleterre. Il faut une heure pour venir à Calais, 1h30 en bateau. Pour l’usager, l’intérêt n’est pas de faire 5h de route, c’est de passer un séjour agréable et profiter de cette déduction. Les belges peuvent faire ce qu’ils veulent, il y a toujours 2h de plus sur l’aller/retour.» Pierre-Henri Dumont, pour sa part, se montre plus prudent, surtout en ce qui concerne le fret : «Si nous n’avons plus cette capacité à envoyer rapidement des marchandises de part et d’autre de la Manche, on va avoir d’autres ports plus éloignés en terme de durée de traversée qui deviendront plus attractifs». Le Brexit sera donc probablement le théâtre d’une concurrence féroce entre les différents ports de la mer du Nord…