Le déficit abyssal de la Sécu
Avec la crise sanitaire, les comptes de la Sécurité sociale affichent un déficit de 44,4 milliards d’euros, qui se répercutera sur la dette sociale. Le retour à l’équilibre semble désormais bien compromis…
En 2018, le gouvernement annonçait avec tambours et trompettes que, pour la première fois depuis 2002, les comptes de la Sécurité sociale seraient à l’équilibre dès 2019. Hélas, à la suite du mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement fut contraint de revoir sa copie en raison notamment de promesses nombreuses : exonération de cotisations sur les heures supplémentaires et la prime exceptionnelle de fin d’année, annulation de la hausse CSG pour les faibles pensions, etc. Au total, le déficit de la Sécurité sociale devait s’élever à 5,4 milliards d’euros en 2019 et 5,1 milliards d’euros en 2020. C’était sans compter le cygne noir Covid-19, qui a ouvert un abîme et anéanti toute chance de retour (rapide) à l’équilibre !
La crise sanitaire grève les comptes
La pandémie aura bien évidemment eu un impact majeur sur la branche maladie de la Sécurité sociale, qui devrait afficher à elle seule un déficit de près de 30 milliards d’euros en 2020. Quinze milliards d’euros auront, entre autres, servi à l’achat de matériel pour les hôpitaux, au remboursement intégral des tests PCR et au versement des primes et heures supplémentaires aux soignants. Mais les autres branches sont elles aussi dans le rouge pour l’année 2020 : -3,3 milliards d’euros prévus pour la branche famille, -7,9 milliards pour la branche vieillesse, -0,3 milliard pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Au total, le solde du régime général de la Sécurité sociale auquel on ajoute celui du fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui verse les cotisations retraite des chômeurs et le minimum vieillesse, s’élèvera à -44,4 milliards d’euros en 2020 ! C’est certes moins que les -52 milliards d’euros redoutés au mois de juin, mais bien plus que les 28 milliards de déficits au moment de la crise en 2010…
Pour 2021, le projet de loi de Financement de la Sécurité sociale (PLFSS), présenté le 29 septembre, prévoit un déficit global de 27 milliards d’euros : -19 milliards d’euros pour la branche maladie, +1,1 milliard d’euros prévus pour la branche famille, -7,3 milliards pour la branche vieillesse, +0,5 milliard pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Mais c’est bien la branche maladie qui sera la plus mise à contribution avec les hausses de salaires et d’investissements à hauteur de 7,9 milliards d’euros (Ségur de la santé), une éventuelle campagne de vaccination contre la Covid-19 et la prise en charge intégrale de la téléconsultation jusqu’en 2022.
Une cinquième branche
Entérinée par le Parlement durant l’été, la création d’une 5e branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie et gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) fait son apparition dans le PLFSS. Mais de nombreux doutes subsistent sur son financement, d’autant que les 66 milliards d’euros alloués aux personnes âgées et handicapées proviennent actuellement d’un enchevêtrement de fonds de l’État, de la Sécurité sociale et des départements. Le rapport Vachey, remis au gouvernement le 14 septembre dernier, cherche certes à préciser le périmètre de cette branche, sa gouvernance et les modalités de son financement, mais pour 2021, le gouvernement s’est contenté de budgétiser cette branche à l’équilibre avec 31,2 milliards d’euros de recettes (dont 28 milliards de CSG), ce qui ne dit rien sur la réalité de l’exécution budgétaire…
La dette sociale
Alors que la baisse de l’activité résultant de la double crise sanitaire et économique conduit inévitablement à une baisse des recettes liées aux cotisations sociales, les dépenses d’indemnisation (chômage, santé) augmentent. Il en résulte inévitablement un déficit abyssal des comptes de la Sécurité sociale, qui pourrait servir de prétexte à une future privatisation de celle-ci au nom de la lutte contre les caisses vides… Il faut en tout cas s’attendre à une hausse de la dette sociale portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), créée en 1996 pour financer et éteindre la dette cumulée du régime général de la Sécurité sociale. Mais alors que le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS) suggérait que l’endettement provenant des mesures prises pour lutter contre la Covid-19 soit assuré par l’État, qui a la possibilité de s’endetter à des taux très bas et inférieurs à ceux de la Sécurité sociale, le gouvernement a préféré une reprise à hauteur de 136 milliards d’euros des déficits et d’une partie de la dette hospitalière et de l’ACOSS par la Cades, dont la durée de vie est de facto prolongée de 13 ans.
Dans ces conditions, évoquer « une trajectoire de retour à l’équilibre des comptes sociaux », relève plus de l’incantation que du programme politique.
Raphaël DIDIER