Le Conseil d’État s’agace de l’inaction climatique de la France

Dans une décision du 10 mai dernier(*), le Conseil d’État a une nouvelle fois enjoint à l’État de prendre, avant le 30 juin 2024, «toutes mesures supplémentaires utiles» pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en France. La dernière décision d’une longue série. Explications.

Le Conseil d’État s’agace de l’inaction climatique de la France

Des objectifs ambitieux et un conflit

Pour mettre en œuvre leur engagement, en ratifiant l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015, l’Union européenne et ses États membres ont décidé de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport à 2005, d’ici à 2030. Un objectif de 37 % étant assigné à la France, qui s’est fixée à elle-même, par la loi, un objectif encore un peu plus ambitieux de réduction de 40 % de ses émissions en 2030, par rapport à 1990. Face à ce qu’elle considérait être une «inaction climatique», la commune de Grande-Synthe (Nord), exposée fortement à la montée des eaux, a demandé au gouvernement de prendre des mesures supplémentaires, afin de garantir le respect des engagements pris par l’État sur la scène internationale. Un refus lui ayant été opposé, elle a saisi le Conseil d’État, soutenue dans sa démarche par les villes de Paris et Grenoble, ainsi que plusieurs organisations de défense de l’environnement.


Dans les deux épisodes précédents …

Déjà, fin 2020, le Conseil d’État se montrait d’une relative sévérité envers le «bilan climatique» du gouvernement, mais laissait à ce dernier trois mois pour intensifier ses efforts et prouver qu’il était capable de respecter ses engagements (CE, 19 novembre 2020, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 427301). Par une seconde décision historique, du 1er juillet 2021, rendue aux termes de ce délai de trois mois et d’une analyse fine des résultats obtenus, le Conseil sommait l’exécutif de prendre «toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national» avant le 31 mars 2022 (CE, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 427301). Prenant la mesure du problème, le gouvernement a mis en place la Convention citoyenne pour le climat, dont les travaux ont finalement abouti au vote de la loi Climat et Résilience du 22 août 2022. Le Conseil d’État était donc amené à se demander si au 31 mars 2022, le gouvernement avait réalisé suffisamment d’efforts pour atteindre les objectifs qu’il s’était fixé.


Des résultats encourageants, mais encore insuffisants

Visiblement pas plus cette fois-ci que la précédente, l’exécutif n’a su convaincre la Haute juridiction administrative. Certes, tout n’est pas noir. Les magistrats admettent, par exemple, que «les dernières données concernant l’année 2022 mettent en évidence un niveau des émissions en baisse de 2,5 %, par rapport à celui de 2021.» En outre, ils signalent, par une longue litanie, que le gouvernement a effectivement pris de très nombreuses mesures et alloué des budgets importants à cette problématique, ce qui démontre, à l’évidence, sa volonté d’atteindre les objectifs fixés pour 2030. Toutefois, ces résultats et actions sont à tempérer. Les baisses des émissions annuelles sont très contrastées : - 1,9 % en 2019, puis - 9,6 % en 2020. Par ailleurs, les données provisoires disponibles montrent qu’elles sont reparties à la hausse en 2021 (+ 6,4 %), avant de redescendre à nouveau en 2022 (- 2,5 %), malgré une baisse particulièrement faible les neuf premiers mois de l’année. En réalité, le Conseil estime qu’il existe une incertitude sur le point de savoir si ces résultats sont liés à des actions gouvernementales ou au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l’activité (en 2020, avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements), puis à la crise de l’énergie (en 2022, avec la guerre en Ukraine). Enfin, se basant amplement sur les travaux du Haut Conseil pour le Climat, la Haute juridiction administrative note que sur les 25 orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), seules six ont bénéficié de mesures en adéquation avec la trajectoire de réduction prévue et quatre auraient même fait l’objet de mesures aux effets contraires, en particulier dans le secteur des transports, du bâtiment, l’agriculture et l’énergie.


Rendez-vous le 31 décembre 2023

Compte tenu de la nécessité d’accélérer la réduction des émissions pour respecter les objectifs, le Conseil d'État estime, dans son communiqué, que les mesures prises «ne permettent pas de garantir, de façon suffisamment crédible, que la trajectoire de réduction des émissions adoptée par le gouvernement pourra être atteinte», notamment l’objectif de baisse de 40 % des émissions de CO2, qui était en vigueur à la date de sa décision du 1er juillet 2021. Pour ces raisons, le Conseil conclut à l’inexécution de sa précédente décision et adresse une nouvelle injonction au gouvernement : il lui demande de prendre, d’ici au 31 juin 2024 toutes les mesures nécessaires pour tenir l’objectif prévu de - 40 % en 2030. Et si le gouvernement, échappe cette fois à l’astreinte, la Haute juridiction reste vigilante : elle lui ordonne de transmettre, d’ici le 31 décembre 2023 dans un premier temps, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de son action en faveur du climat et de la réduction des gaz à effet de serre.


(*) CE, 10 mai 2023, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 467982.


Nicolas TAQUET, avocat