Laurent Desprez, directeur d'Euralogistic : «Nous sommes un peu des docteurs de la logistique et de la mise en relation»

Le Pôle d'excellence régional Euralogistic, basé à Hénin-Beaumont sur la plateforme trimodale Delta 3, accompagne sous la houlette de la CCI Hauts-de-France 150 entreprises et une cinquantaine d'acteurs territoriaux par an pour optimiser leur système logistique/transport. Le campus vient compléter l'offre, formant les logisticiens de demain dans un secteur en pénurie de main d'œuvre. Interview.


Laurent Desprez, directeur d'Euralogistic. © Lena Heleta
Laurent Desprez, directeur d'Euralogistic. © Lena Heleta

Vous disposez d'un emplacement stratégique, à deux pas de la plateforme trimodale Delta 3-Dourges, connue par tous les logisticiens européens. Quelle est sa valeur ajoutée ?

Laurent Desprez. Cette plateforme est présente au cœur de la région dans un endroit très stratégique, avec un choix d'implantation en tout point remarquable, à la croisée des chemins entre le routier, le ferroviaire et le fluvial. Elle sera demain l'un des débouchés du Canal Seine Nord-Europe. C'était le maillon manquant et cela va apporter encore plus de solutions logistiques. Pour le bassin, c'est le symbole d'une réussite dans un domaine qui est assez leader. Cela a été un vrai démonstrateur réussi, qui plus est sur une friche industrielle. C'est d'ailleurs l'un des modèles nationaux de réussite de reconversion économique sur une friche.

Qu'a apporté Delta 3 aux habitants du bassin ?

LD. Avec aujourd'hui 1 500 emplois, le bassin a bénéficié de cette implantation, qui est celle de nombreuses entreprises. Le territoire, contrairement à ce que l'on pourrait penser, est créateur net d'emplois depuis plusieurs années. Vous aviez autrefois un taux de chômage significatif, aussi c'est une réussite totale. Ajoutez à cela ce qui s'est passé autour du Louvre-Lens, de la Culture, des éco-entreprises… la transformation économique de l'ex-bassin minier a été boostée. Il y a une vraie résilience du territoire. Il y a eu la nécessité de former un certain nombre de personnes, la logistique a été une nouvelle voie. Beaucoup de familles ont des logisticiens chez elles. Cela a permis une vraie remise à l'emploi.

Euralogistic fédère et anime la filière logistique et supply chain sur la région. Quels sont vos outils pour mettre en œuvre ces accompagnements ?

LD. Nous sommes un peu des docteurs de la logistique et de la mise en relation. On a beaucoup misé ces derniers temps sur un outil de check up qui vous permet de voir si vous êtes dans les bons rankings nationaux et si vous avez une vision à 360 degrés de votre entreprise. 

Nous avons aussi développé la méthodologie Compétitivité PME Transport, destinée aux transporteurs routiers. On a accompagné une centaine d'entreprises depuis la création de cette prestation il y a une dizaine d'années pour faire en sorte qu'elles soient le plus performantes possible. Les sociétés de transport routier ont de faibles marges, donc tout doit être au cordeau. Grâce à une analyse de leur data, de leur flux, on fait des préconisations. 

Ensuite, le Supply chain booster, notre produit-phare, consiste en un mapping de flux. C'est un logiciel que nous avons créé qui nous permet de cartographier les flux de l'entreprise en co-élaboration, car les entreprises fonctionnent souvent par îlots. 

Ces dernières années, on a développé des prestations plus spécifiques autour des ressources humaines et de la green logistique. Nous avons désormais un très gros réseau d'acteurs vers lequel orienter les entreprises, dont les start-ups. 

Enfin, grâce à un programme de recherche avec le Centre de l'énergie atomique, on a créé des jumeaux numériques. C'est un système de simulation, qui permet de modéliser les flux. Le conseil régional, qui est l'un de nos grands financeurs, contrôle nos résultats.

Au sein du campus Euralogistic, tout un écosystème de formation a été créé. En quoi est-ce unique en France ?

LD. Tout d'abord, il est situé sur une plateforme de renom européen. Nous avons donc la chance de bénéficier d'un démonstrateur XXL. Cela nous permet d'avoir un tissu relationnel de proximité. On voit bien le lien entre une grande plateforme et la nécessité d'une offre de formation pour que cela devienne leur vivier de recrutement. Le campus fonctionne en flux continu. On est sur un modèle économique où - même s'il a bénéficié de subventions régionales, étatiques et de l'Ademe au démarrage -, il fonctionne parfaitement depuis des années. Il y a un vrai brassage, et on essaie d'être au service des professionnels. On est des facilitateurs. Mais les vrais acteurs, les vraies success-stories, ce sont les entreprises et nous avons la chance extraordinaire d'avoir un écosystème de sociétés de très haute valeur.

Le Logisitc Tour, un espace dédié à la découverte des métiers de la logistique. © Lena Heleta

On dit souvent que la clé de voûte, c’est le supply chain management ?

LD. Ça l'est de plus en plus. Dans les entreprises industrielles, il y a d'ailleurs de plus en plus de supply chain managers. Parce que c'est un pilote de flux, un chef d'orchestre. Il doit faire travailler ensemble toutes les parties de l'entreprise pour qu'il y ait le moins de déchets possible, le plus de time to market, le moins de pertes et que l'entreprise soit rentable. Dans le supply chain management, vous avez deux indicateurs saillants : le taux de service client et la profitabilité de l'entreprise. Cette discipline est indispensable. Le chef d'entreprise qui a compris qu'il faut faire en sorte que les gens se parlent a tout emporté ! C'est un véritable enjeu de dialogue pour que l'entreprise soit pilotée par les flux, or la France est en retard par rapport à l'Allemagne, par exemple, où il y a dix fois plus de supply chain managers. Pourtant quand on investit dans ce secteur, c'est toujours à profit.

Il y a deux ans, vous nous disiez ouvrir le chapitre de la R&D logistique. L’innovation est identifiée comme un pilier de l’avenir, notamment avec les start-ups. Quelles sont les avancées sur ce volet ?

LD. On a commencé à travailler sur la recherche opérationnelle en logistique il y a six ans en travaillant sur la massification des flux dans le cadre de projets européens. Cela nous a ouvert la porte à de nombreux univers. Plus récemment, nous sommes allés voir tous les laboratoires de recherche en logistique et supply chain management de la région pour identifier les chercheurs en capacité d'amener des choses aux entreprises. Ces personnes là sont clés. Nous collaborons désormais avec une dizaine de structures. Par exemple, l'entreprise Bray a intégré une chercheuse du LGI2A (Laboratoire de génie informatique et d'automatique de l'Artois, ndlr), nous avons facilité le relationnel et ils en sont parfaitement satisfaits. À travers les appels à projets de France 2030, on investigue de nouveaux sujets de recherche, dont la logistique verte. 

Le Campus Euralogistic jouxte le Pôle d'excellence Euralogistic. © Lena Heleta


Justement, quels sont les leviers pour parvenir à la prise en considération de l'éco-responsabilité des entrepôts et des moyens de transport ?

LD. Le premier gap, c'est la localisation optimale d'un entrepôt par rapport à son bassin et ses flux. Ensuite, il peut et doit devenir producteur d'énergie, utiliser l'eau, être combiné avec de la culture. Qu'ils soient plus résistants à la montée en température. Sur l'aspect emballage, recyclage, économie circulaire, le sujet du e-commerce, de la logistique urbaine… tout cela fait partie de la réflexion autour de la logistique verte. Au niveau des transports, il y a évidemment la question de la motorisation - électrique, hydrogène -, du carburant à base de colza, de la co-mobilité, de l'augmentation des taux de remplissage, de la traçabilité et de l'éco-conduite. Les transporteurs ne sont pas les derniers sur ces sujets. Au contraire. Mais c'est de l'horlogerie fine car c'est au centime d'euro au kilomètre près pour ne pas s'écrouler, donc on n'a pas le droit à l'erreur. D'autant qu'il y a beaucoup d'entreprises familiales qui n'ont pas forcément les mêmes capacités qu'un grand groupe.

La Cité internationale de la logistique verte et de la supply chain a déjà avancé notamment avec le Logistic Tour et la R&D. Quels sont les prochains rendez-vous ?

LD. Les prochains développements sont très fortement boostés par nos projets France 2030 remportés. Ce sont des démonstrateurs de la multimodalité et du supply chain management dans des espaces que l'on va aménager dans le même esprit que le Logistic Tour (un module ludique dédié à la découverte des métiers de la logistique sur le campus, ndlr). On souhaite également embarquer des étudiants avec nous dans les missions. La génération qui arrive veut des cas pratiques, donc c'est vraiment là-dessus que l'on se développe pour notre école, tant sur la formation initiale que continue. En espérant dans les prochaines années lancer ces différents maillons. C'est un investissement de grand avenir. Encore faut-il que l'on trouve les apprenants potentiels. D'où l'importance de la promotion, de l'image de marque. C'est tout un ensemble.

Le Logisitc Tour. © Lena Heleta

Philippe Hourdain sur Norlink : «Nous souhaitons être LA région de la green logistique»

L'association Norlink, créée en 2017 par la CCI Hauts-de-France et le Grand port maritime de Dunkerque, fédère les acteurs des filières portuaire, ferroviaire et fluvial, en étroite collaboration avec Euralogistic. Lancée à l'annonce du lancement du canal Seine Nord-Europe, elle vise à faire de la région le hub portuaire et logistique de l'Europe du Nord-Ouest. «Il y a eu une prise de conscience que nous sommes une région logistique par notre emplacement, nos structures et les 140 000 personnes employées dans la logistique en région. Mais les acteurs travaillaient en silos. Nous avons donc mis en place une stratégie de lobbying, avec des actions très concrètes», explique Philippe Hourdain, président de la CCI Hauts-de-France et de Norlink. Avec en premier lieu, une collaboration permanente avec l'équipe du canal Seine Nord. L'outil Canal entreprises, un réseau de 800 sociétés travaillant ou souhaitant travailler sur ce projet, s'y attèle. «Nous souhaitons être LA région de la green logistique», résume t-il. Le multimodal est en effet l'une des clés du verdissement du secteur. L'incubateur REV3 Lab X Norlink Ports de Lille, les salons internationaux, un travail sur l'interconnexion des ports, mais aussi le Norlink Day, dont la septième édition s'est tenue le 14 novembre et qui vise entre autres à renforcer les liens internationaux, viennent compléter les grandes réalisations de cette fédération.