Laurent Cantet, le cinéma "Entre les murs" et au-delà
Laurent Cantet, qui restera pour beaucoup l'auteur de l'un des plus grands films sur l'école, "Entre les murs", était un réalisateur humaniste et engagé, qui filmait...
Laurent Cantet, qui restera pour beaucoup l'auteur de l'un des plus grands films sur l'école, "Entre les murs", était un réalisateur humaniste et engagé, qui filmait la société dans toute sa complexité.
Avec ce film qui plonge dans une classe difficile d'un collège du XXe arrondissement de Paris, où un jeune professeur de français s'efforce d'enseigner à ses élèves une langue différente de la "tchatche", ce fils d'instituteurs devenu cinéaste aura changé les regards sur l'école.
Le film, au budget modeste, touche au coeur le jury du Festival de Cannes, présidé en 2008 par Sean Penn, qui lui décerne la Palme d'or. Tout comme les spectateurs: 1,6 million d'entrées en France et plus de 500.000 dans le monde...
Un succès dû au scénario, adapté du roman de François Bégaudeau, qui joue son propre rôle d'enseignant, aux jeunes acteurs, des ados non-professionnels criants de vérité jusqu'à Cannes, où ils feront un voyage inoubliable. Mais surtout à la méthode Laurent Cantet, celle d'un cinéaste qui se met à la hauteur de ses sujets, au plus près du réel.
Le tournage du film a été précédé, le temps d'une année scolaire, d'ateliers d'improvisation hebdomadaires "où le film a mûri", comme il le confiait à l'époque à Cannes. Un passage par la fiction qui rend les rôles encore plus "vrais", selon lui: "Ils sont souvent plus sincères que les gens filmés par un documentariste, parce que quand on a une caméra braquée sur soi, on défend sa peau", justifie-t-il.
Né dans les Deux-Sèvres, après avoir entamé des études de photographie, Laurent Cantet fait ses armes à l'Idhec, la grande école française de cinéma de l'époque. Il y rencontrera sa famille de cinéma, des auteurs dont il ne s'éloignera jamais, comme Robin Campillo ("120 battements par minute"), qui fut son monteur avant de passer à la réalisation.
Engagé
Auteur naturaliste, parfois à la frontière du documentaire comme dans "Entre les murs", Laurent Cantet n'a cessé d'explorer les relations sociales, le travail, les mobilisations sociales.
Son premier court-métrage, "Tous à la manif", se déroule dans un café où le fils du patron tente de se mêler à des lycéens préparant une manifestation. Mise en situation des personnages dans un cadre professionnel, dépendance aux origines sociales, tensions entre l'individu et le groupe, ce court préfigure son cinéma.
"Ressources humaines", son premier long-métrage, avec Jalil Lespert, parle avant l'heure des "transfuges de classe", avec l'histoire d'un fils d'ouvrier passé au service du patronat. Il obtient le César du meilleur premier film, et enchaînera avec "L'emploi du temps", inspiré de l'affaire Jean-Claude Romand.
Après le phénomène "Entre les murs", son cinquième long-métrage, le succès se fera plus rare, malgré un retour à Cannes en 2017 avec "L'Atelier" dans lequel un groupe de jeunes en insertion effectue un stage d'écriture. Il s'est aussi inspiré de nombreux voyages à Cuba et de ses conversations avec les déçus de la Révolution pour "Retour à Ithaque" (2014).
Son dernier film "Arthur Rambo", sorti en 2021, se penchait sur la destruction d'une réputation sur les réseaux sociaux, et il travaillait sur un projet de film, intitulé "L'apprenti" qui devait sortir en 2025.
Cinéaste discret, Laurent Cantet était aussi un homme engagé, qui après sa Palme d'or, sera de nombreuses manifestations: pour les migrants, contre la censure des régimes autoritaires, pour la défense du cinéma d'auteur.
Face aux appétits d'ogre des grandes plateformes de streaming, il a aussi fondé il y a dix ans avec ses amis cinéastes Pascale Ferrand et Cédric Klapisch, un petit poucet du secteur, "La Cinetek". Tournant le dos aux algorithmes, chaque cinéaste y parle de ses films préférés, mis à disposition des abonnés.
Eclectique et brassant les générations, la liste de Laurent Cantet va de Frank Capra ("La vie est belle") à Bong Joon-ho ("Mother"). En passant par "Zéro de conduite" de Jean Vigo (1933), chef d'oeuvre sur la jeunesse, tourné entre les murs... d'un pensionnat.
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