Témoignages d'entrepreneurs
La voile, clé de la décarbonation du transport maritime ?
Des entrepreneurs innovants misent sur la voile pour décarboner le transport de marchandises. Témoignages, dans le cadre de Big Inno Génération, rencontre d’entrepreneurs.
90% du transport international de marchandises transite par voie maritime, contribuant à hauteur de 3% des émissions mondiales de CO2. La voile va-t-elle contribuer à la décarbonation de ce secteur ? A Big Inno génération, rencontre d’entrepreneurs tenue à Paris le 6 octobre, une séquence était consacrée au «Transport maritime à la voile : idée du passé ou futur proche ?». Deux entrepreneurs à la démarche radicalement différentes y ont livré leurs témoignages et analyses. Jacques Barreau, cofondateur de Grain de Sail, a carrément viré de bord : il n’utilise que des cargos véliques pour transporter les marchandises.
Romain Grandsart, responsable des relations commerciales chez Ayro, propose aux armateurs de faire évoluer leur flotte : ses «ailes de propulsion» pilotées informatiquement, sont destinées à être implémentées sur des cargos à moteur. «Au début du XIXe siècle, les clippers, ces grands bateaux à voile, ont été équipés avec des machines à vapeur. Il s’agissait d’une hybridation : les voiles étaient conservées, car charger autant de charbon que nécessaire pour la traversée aurait impliqué de renoncer à transporter les marchandises. Deux cents 200 ans plus tard, on met des voiles sur les bateaux à moteur», explique-t-il. Sa solution, qui peut être adaptée à de très grands cargos, permet 20 à 30 % d’économies de carburant et même beaucoup plus, selon la météo.
Chez Grain de Sail, l’économie va jusqu’à… 90 à 97%. «Notre record est Saint-Malo/New-York avec 10 litres de gasoil», précise Jacques Barreau. Son cargo vélique – -un voilier de 24 mètres de long – est équipé de gréements immenses, à l’échelle du bateau. Le moteur n’est employé que pour réaliser les manœuvres. Et il avance à une allure de 12 nœuds par heure en moyenne, soit à peu près comme un cargo à moteur. Cette solution n’est pas viable pour les géants des mers qui transportent aujourd’hui les marchandises.
De plus, elle s’inscrit dans un modèle économique particulier qui repose sur une éthique de l’entreprise très exigeante. A l’origine, c’est… une chocolaterie qu’Olivier et Jacques Barreau ont fondé, en 2013, en Bretagne. Quelques années plus tard, ils ont fait construire leur premier bateau pour s'approvisionner en cacao, en Amérique Latine, en polluant le moins possible. Un deuxième cargo vélique de 50 mètres devrait bientôt prendre la mer : la démarche de Grain de Sail a déjà notamment séduit des cavistes qui leur confient leurs bouteilles…
Possible et insuffisante bascule
La genèse d’Ayro est complètement différente : en 2018, la société a été fondée pour adapter l’aile double qui équipait le catamaran BMW Oracle, vainqueur de la coupe America (2010), à un navire de 121 mètres de long, destiné à transporter les tronçons de la fusée Ariane jusqu’à Kourou, à partir de 2023. Déjà, Ayro a expérimenté sa solution technique avec Energy Observer - un catamaran laboratoire qui promeut les énergies décarbonées. Avec Grain de Sail, Ayro est membre de Wind Ship, association qui fédère les acteurs français de cette filière qui se structure actuellement autour des cargos à voile, et qui dénombre une trentaine de ces développeurs de technologies dans le monde.
Le transport maritime va-t-il basculer ? «Il va y avoir prise de conscience. On le sent chez les armateurs, les industriels. La bascule devrait être assez franche», estime Romain Grandsart. Plusieurs dynamiques poussent dans ce sens, à commencer par des mesures réglementaires qui découlent de la stratégie de l’OMI, Organisation maritime internationale. Celle-ci a adopté, en 2018, un plan de réduction de 50% de ses émissions de gaz à effet de serre, d'ici à 2050. Et aussi, «la pression de la société civile qui veut connaître le bilan carbone de ce qui est transporté, ce qui pousse les armateurs à adopter des solutions pour décarboner le transport», ajoute Romain Grandsart.
Autre argument en faveur du vent, ressource gratuite et illimitée : la tonne de carburant coûte 1 000 dollars… Las, tout cela ne suffira pas à résoudre réellement les problèmes écologiques posés par le transport maritime, met en garde Jacques Barreau : «les solutions existent sur le plan technique. Grâce aux courses au large, nous disposons de matériel performant. Sur le plan économique, cela se finance. Il n’y a pas d’excuse particulière. Mais une autre innovation va être nécessaire : celle dans nos comportements. Nous avons pris l’habitude de consommer tout et n’importe quoi, comme si cela était infini, y compris dans les entreprises. Or, si la flotte est multipliée par deux ou trois, ce que nous faisons actuellement n’a aucun sens !». Cet écueil se profile, en effet, à l’horizon. D’après les calculs de l’OMI, le flux de transports pourraient croître de 50 à 250% d'ici à 2050, augmentant d’autant ses émissions de gaz à effet de serre...