La vente à la sauvette de cigarettes fait tousser les élus de Seine-Saint-Denis

Pour quelques minutes, les vendeurs de "Marlboro bled" se sont volatilisés: sur un haut lieu de vente à la sauvette de cigarettes, les maires de dix villes de Seine-Saint-Denis ont dénoncé de concert la "gangrène"...

Des manifestants avec des affiches contre le trafic de cigarettes durant la conférence de presse de maires d'Ile-de-France contre ces nuisances le 22 avril 2024, à Pantin, en Seine-Saint-Denis © Bertrand GUAY
Des manifestants avec des affiches contre le trafic de cigarettes durant la conférence de presse de maires d'Ile-de-France contre ces nuisances le 22 avril 2024, à Pantin, en Seine-Saint-Denis © Bertrand GUAY

Pour quelques minutes, les vendeurs de "Marlboro bled" se sont volatilisés: sur un haut lieu de vente à la sauvette de cigarettes, les maires de dix villes de Seine-Saint-Denis ont dénoncé de concert la "gangrène" de ce trafic dans leur département populaire.

Pour marquer les esprits, les élus ont installé lundi soir une estrade au milieu du très fréquenté carrefour des Quatre-Chemins, quartier populaire à cheval sur Aubervilliers et Pantin, bloqué pour l'occasion à la circulation. La forte présence policière a fait fuir les nombreux vendeurs à la sauvette de tabac qui y officient habituellement.

Sous une banderole jaune proclamant "Fausses cigarettes, vrais problèmes", les élus des dix communes de gauche (Pantin, La Courneuve, Noisy-le-Sec, Montreuil...) ont, au micro, réclamé à l'Etat plus de moyens pour lutter contre ce fléau porteur de tensions.

"Nous sommes rassemblés pour dire que nous en avons marre du trafic de cigarettes de contrefaçon qui gangrène nos espaces publics, qui fait qu'aujourd'hui la situation est difficile sur le terrain, mal vécue par les commerçants et les habitants", dit à l'AFP le maire PS de Pantin, Bertrand Kern.

Si le trafic de cigarettes n'est pas un phénomène récent, il a très visiblement pris de l'ampleur depuis la fin du Covid. Selon les maires protestataires, qui se basent sur des chiffres de l'industrie du tabac, le nombre de points de vente illégaux de tabac en Île-de-France est passé de cinq avant la pandémie à plus de 80 actuellement.

À travers la banlieue parisienne, il est courant de voir des grappes de vendeurs alpaguer l'usager à la sortie des stations de transports en commun les plus fréquentées. S'ils s'envolent sitôt qu'apparaît un uniforme de police, il ne leur faut que quelques minutes pour revenir, à peine les forces de l'ordre parties.

"On est sur un constat d'impuissance collective, d'impuissance publique", a lancé à la tribune Loline Bertin, adjointe au maire PCF de Montreuil, soulignant que "les villes ne peuvent plus vider l'océan de la misère à la petite cuillère".

- Condamnations rares -

Quelques jours avant cette action, les responsables de la police et de la justice de Seine-Saint-Denis avaient tenté de déminer le terrain en tenant eux aussi une conférence de presse.

Installés devant un photogénique mur de paquets de cigarettes, issus des 32.772 paquets saisis lors des trois semaines (25 mars-12 avril) d'une opération "Place nette XXL" dans le département, le directeur territorial Michel Lavaud et le procureur de Bobigny Eric Mathais ont mis en avant leur volonté de "déstabiliser les réseaux", notamment en multipliant les actions en gares.

Dans ces ventes à la sauvette se retrouvent généralement des cigarettes de contrebande en provenance du Maghreb ou des cigarettes contrefaites produites en Europe de l'Est. Achetée 20-25 euros au fournisseur, une cartouche de dix paquets se revend 50 euros au client.

"C'est un trafic qui emprunte aux codes et modes opératoires des trafics de stupéfiants (stockage, acheminement, revente), c'est un trafic de rue mais qui dans la plus-value financière est en-deçà du trafic de stupéfiants", a indiqué Michel Lavaud.

La vente à la sauvette ne constitue un délit que depuis une loi de 2011. Si elle est théoriquement passible de six mois d'emprisonnement et 3.750 euros d'amende, il est toutefois rare de faire condamner les vendeurs, a reconnu le procureur.

Seul un vendeur multirécidiviste serait susceptible de faire l'objet d'un jugement en comparution immédiate, avec un résultat pénal plutôt décevant du point de vue du parquet.

"La première fois on lui confisquerait juste ses cigarettes, la deuxième fois ses cigarettes et son argent, la troisième fois il serait déféré devant un délégué du procureur, la quatrième fois il passerait en CRPRC-déférement (procédure de plaider-coupable, NDLR), la cinquième fois il passerait en comparution immédiate", a énuméré Eric Mathais, à titre d'exemple.

Mais une fois devant le tribunal, "les peines prononcées sont objectivement moins importantes, à situation équivalente, que celles prononcées en matière de stupéfiants", a-t-il regretté.

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