La taxe carbone parviendra-t-elle à réconcilier écologie et économie ?
Concilier compétitivité des entreprises et transition écologique : il est difficile d'élaborer des réponses de politique publique à cet enjeu majeur, dans un contexte où la multitude d'acteurs concernés peine à s'entendre sur une cause pourtant vitale pour tous, a montré un récent débat organisé par France Stratégie.
«Politiques en faveur de la transition écologique et compétitivité s'opposent-elles ?» Le 12 février, France Stratégie, cellule d'études et de veille rattachée à Matignon, organisait une web conférence consacrée à ce sujet crucial. En économie, cette question pose celle de l'«action collective», analyse Lionel Fontagné, coordinateur du rapport de France Stratégie sur «Les incidences économiques de l'action pour le climat» (Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz mai 2023). Personne n'a intérêt à faire quelque chose individuellement et tout le monde y a intérêt collectivement... «Quand une tonne de carbone est émise, elle est là pour tout le monde», rappelle Lionel Fontagné. Et du point de vue écologique, cette question s'inscrit dans un cadre international complexe : les accords de Paris de 2015, par lesquels les États s'engagent à prendre des mesures pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, sur la base du volontariat. «Cela pose deux problèmes. Ces actions ne sont pas coordonnées, et donc, elles ne sont pas suffisamment efficaces pour atteindre les objectifs fixés. Et il n'y a pas d'obligations», pointe Lionel Fontagné. À ceci s'ajoute une autre difficulté soulignée par le rapport de France Stratégie : «Pour l'instant, les économistes ne sont pas en mesure de définir une jauge commune qui permette de mesurer des efforts faits par les différents pays», ajoute l'expert.
Au sein de ce cadre international à l'efficacité toute relative, «les pays diffèrent entre eux par leur degré d'ambition et par les instruments qu'ils mettent en œuvre», explique Fanny Henriet, directrice de recherche au CNRS au sein d'Aix-Marseille School of Economics. En effet, les états disposent de différents types d'outils pour réduire la production de gaz à effet de serre. Les «instruments prix», comme les quotas d'émission ou la taxe carbone (modèle européen). Ou alors, des subventions qui favorisent des modes de production moins polluants (modèle américain). Ces différences de stratégies engendrent des conséquences écologiques et économiques diverses. Ainsi, l’Inflation Reduction Act américain de 2022 génère des problèmes d'attractivité pour l'Europe. Une nation qui se dote d'une politique écologiquement exigeante, avec un coût élevé du carbone, risque de provoquer une «fuite de carbone» vers d'autres pays, tout en nuisant à la compétitivité de ses propres entreprises…
Fuites de carbone en baisse
L'Europe a-t-elle choisi la bonne stratégie ? «L'Union Européenne a choisi d'agir, de montrer le chemin (…) Comment protéger notre compétitivité tout en baissant nos émissions, c'est tout l'enjeu», décrypte Lionel Fontagné. Depuis le 1er octobre dernier, le MACF, Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, dit «taxe carbone» est entré dans sa phase expérimentale. Les importateurs de produits comme l'acier, les engrais ou l'aluminium, doivent acquitter de la taxe carbone. L'Europe fait évoluer sa stratégie jusqu'alors basée sur un système qui présente plusieurs biais sur le plan écologique et économique. Les entreprises achètent des quotas d'une émission globale de carbone, plafonnée en fonction des objectifs de l'UE. Dans ce cadre, «une entreprise a intérêt à délocaliser là où ces quotas seront moins coûteux. Cela provoque une fuite de carbone. Les émissions vont se déplacer ailleurs», explique Cécilia Bellora, économiste au CEPII, Centre d'études prospectives et d'informations internationales. Pour préserver la compétitivité des entreprises, le dispositif exemptait celles à l'activité très intensives en émissions de carbone et soumises à la concurrence internationale. Résultat : ces entreprises ne sont pas incitées à déplacer leur production, mais «le signal prix disparaît», commente Cécilia Bellora. Le nouveau mécanisme de la taxe carbone semble plus efficace à la fois sur le plan de la compétitivité et celui de l'écologie. En effet, «l'incitation à produire ailleurs pour réimporter va être plus faible», explique l’économiste Et selon les simulations des chercheurs, les «fuites de carbone» devraient être nettement inférieures à celles observées avec le mécanisme des quotas.