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La retraite, c’est pour quand ?

C’est le dossier brûlant du moment auquel on ne peut échapper ! Celui des retraites. Même s’il pose des questionnements nettement moins cruciaux que le changement climatique ou la guerre en Ukraine, il bouscule notre process sociétal… et ne saurait se résoudre à une logique purement financière. Les enjeux sont en effet colossaux et interrogent sur nos modes de vie et aspirations, sortis chamboulés de la période pandémique. On ne saurait occulter ce changement de paradigme de notre vivre ensemble avec en filigrane le sens et la valorisation du travail.  

La retraite, c’est pour quand ?

Assurément, le projet du gouvernement quant aux retraites apparaît comme une dichotomie par rapport à une opinion qui y est pour l’heure largement opposée. Jusqu’où cela nous mènera-t-il ? Le climat social va-t-il se tendre à l'extrême ? Les jours à venir nous le diront. N’empêche, entre un texte arrivant au Parlement, portant le sceau du recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans (en sus d’une accélération de la durée de l’allongement pour bénéficier d’une retraite à taux plein) et une large part des Français qui continuent à se poser la question, réflexion amplifiée depuis les périodes de confinements, sur le sens du travail, il y a invariablement un immense fossé. Comme si les décisions du monde d’avant essayaient de cohabiter avec les aspirations du monde d’après.

61 ans, l'âge idéal aspiré...

À quel âge souhaitez-vous partir à la retraite ? Cette question, simple de prime abord, amène une réponse complexe. S’il existe un âge légal de départ à la retraite fixé pour l’heure à 62 ans, cela ne veut pas dire pour autant que tous les actifs partent ou souhaitent partir à la retraite à cet âge. Il y a ceux qui, en raison de leur carrière, peuvent partir plus tôt, mais aussi ceux qui retardent ce départ car ils veulent continuer à travailler, n’ayant pas encore suffisamment cotisé pour obtenir une retraite à taux plein ou souhaitant obtenir une pension plus importante. Ainsi, en Moselle, au 31 décembre 2021, on comptait 212 447 retraités. Au cours de cette même année, 13 676 avaient fait valoir leurs droits en la matière. Ce qui nous ramène à quelques grandes tendances hexagonales. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en partenariat avec le Conseil d’orientation des retraités (Cor), la direction de la Sécurité sociale et cinq régimes de retraite, avait publié une intéressante étude sur les motivations de départ des personnes ayant pris leur retraite entre juillet 2019 et juin 2020, soit à cheval sur l’avant et le pendant de la crise Covid-19, de 5 500 nouveaux retraités au premier semestre 2021. Il en ressortait que la principale motivation de départ était de profiter de ce nouvel âge de la vie le plus longtemps possible. Si l’on détaille plus en avant, l’âge idéal pour partir à la retraite s’établit à 61 ans.

Une succession de réformes

Pour décider de leur départ à la retraite, les actifs sont avant tout confrontés à un principe de réalité. Derrière la première motivation apparaissent : avoir atteint l’âge légal minimal de départ (78 %), bénéficier du taux plein (68 %) et ne plus pouvoir travailler (50 %). Ceux qui décident de travailler plus longtemps le font avant tout pour des raisons financières : augmenter leur retraite future (69 %), conserver encore quelques années de rémunération (67 %), éviter une minoration de leur pension via une décote (56 %). On retrouve là une continuité avec un faisceau d’enquêtes parues ces derniers mois : beaucoup de Français ne souhaitent pas travailler davantage, quitte à avoir une pension moins forte. Depuis de nombreuses années, les réformes des retraite n’ont eu de cesse de mettre en place des mesures pour inciter à travailler plus longtemps : relèvement de l’âge légal (en 2010, de 60 à 62 ans), allongement de la durée de cotisation pour obtenir le taux plein (en 2014, à 172 trimestres, soit 43 ans). Au-delà des aspects techniques et purement comptables, avec cette volonté légitime de l’exécutif à vouloir réduire les déficits et sauvegarder l’équilibre de notre régime de retraite par répartition, on peut être interrogatif quant au timing choisi, après la crise des gilets jaunes, révélant et confirmant une vraie fracture sociale dans notre pays, après celle de la pandémie qui a mis en exergue d’autres fragilités, et surtout libéré des aspirations portées sur un retour sur soi et sur des valeurs simples.

Des paramètres à revoir

Beaucoup de tenants de cette réforme des retraites avance cet argument massue de la progression de l’espérance de vie. Pas faux, mais un rien simpliste en en faisant une généralité : "vivre plus longtemps, donc travailler plus longtemps" tout comme : "on vit plus longtemps en retraite en bonne santé". Il est vrai, depuis les années 50, les Français et Françaises ont gagné 16 ans d’espérance de vie. En 2022, elle était de 79,4 pour les hommes et de 85,3 pour les femmes (le même niveau qu’en 2014). Depuis le milieu des années 2010, les progrès de la longévité semblent toutefois moins rapides. Ils dépendront de la capacité de la médecine à ralentir les effets du vieillissement, à réparer les organes qui s’altèrent avec l’âge. Ils résulteront aussi de l’évolution des modes de vie, notamment de la consommation de tabac et d’alcool. L’état de santé dépend pour beaucoup de la quantité d’heures travaillées (durée hebdomadaire et nombre d’années) et de la pénibilité au travail. On réduit souvent celle-ci au physique. À tort. La pénibilité peut découler d'une pression et d'une charge mentales. L’essor d’emplois peu qualifiés, dont une partie s’exerce à l’extérieur (comme les livreurs de repas à vélo) va jouer. De nouvelles pénibilités sont-elles en train de naître ? Sans compter, comme l’a montré la crise de La Covid-19, que nos sociétés ne sont pas à l’abri d’une catastrophe sanitaire, d’une guerre, d’un cataclysme naturel. Enfin, l’âge de départ à la retraite ne gomme pas les inégalités de carrière entre les individus. Rien qu’en Moselle, le montant global mensuel moyen de la pension servie par le régime général était en 2021 de 859 € pour un homme, de 655 € pour une femme. Cette disparité, qui choque, entre les deux sexes se retrouve dans les données nationales. Ainsi, à l’heure où la projet de réforme gouvernemental s’appuie sur des ambitions budgétaires plus vertueuses, ce dont on pourrait se satisfaire, il regarde le court terme, l’horizon 2030. Ce projet gagnerait du corps et de l’adhésion en accrochant à son pavillon notre devise républicaine, liberté, égalité, fraternité. Nous rajouterions d’humanité. Ici, du chemin reste à parcourir... Un long chemin.