La réduction de l’artificialisation des sols revue et corrigée par le Sénat
Une proposition de loi d’initiative sénatoriale vient à nouveau assouplir les dispositions de la loi Climat et Résilience relatives à l’artificialisation des sols et redonner la main aux territoires pour tracer eux-mêmes leur trajectoire en matière de sobriété foncière. Revue des aménagements adoptés.

En l’espace de quatre ans, les dispositions de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 relatives à la réduction de l’artificialisation des sols – qui fixent notamment un objectif de Zéro artificialisation nette des sols (ZAN) en 2050 – auront connu bien des modifications. Le Sénat vient en effet d’adopter, en première lecture, ce 18 mars, la proposition de loi visant à instaurer une « trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux » (TRACE). Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte qui s’inscrit dans le prolongement d’autres initiatives similaires.
Une nouvelle loi et une circulaire pour introduire plus de souplesse
Face aux difficultés des élus locaux à appliquer les nouvelles règles d’aménagement foncier prévues par la loi Climat et Résilience, une loi du 20 juillet 2023, dite loi ZAN 2, est venue apporter un premier lot d’adaptations : mutualisation des projets d’envergure nationale et européenne, garantie communale d’un hectare pour les plus petites communes, possibilité de déduire de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) les opérations de renaturation, aménagements du droit de préemption et de sursis à statuer des élus locaux…
Six mois plus tard, une circulaire du 31 janvier 2024 relative à la mise en œuvre de la réforme du ZAN et émanant du ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a invité les préfets de région et de département à faire preuve de « souplesse » dans l’application de la réforme. Elle autorise notamment un dépassement des objectifs quantifiés de réduction de la consommation d’Enaf pouvant aller jusqu’à 20 %, sans justification spécifique.
Un groupe de suivi de la réforme
Face à persistance des difficultés rencontrées par les élus locaux, le Sénat a mis en place un groupe de suivi de la réforme, qui a présenté un premier bilan, en octobre 2024. Dans leur rapport, les sénateurs concluent que l’État doit davantage prendre en compte les spécificités des territoires et les priorités locales, simplifier le système de comptabilisation, assouplir la conduite de la réforme et accorder davantage de latitude aux collectivités locales pour fixer leur propre trajectoire de réduction de l’artificialisation des sols.
Les deux rapporteurs, Guislain Cambier ( Union centriste, Nord) et Jean-Baptiste Blanc (LR,Vaucluse) avaient alors annoncé leur intention de présenter un nouveau texte pour modifier la loi en ce sens. Un mois plus tard, les deux sénateurs ont déposé une proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, directement inspirée des conclusions de leur rapport, que le Sénat vient d’adopter.
Redonner la main aux élus locaux pour la fixation des objectifs régionaux
La proposition de loi ne revient pas sur l’objectif Zéro artificialisation nette des sols au niveau national en 2050, mais elle vient abroger l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation en 2031, pour le remplacer par des objectifs intermédiaires fixés par les régions elles-mêmes, différenciés mais crédibles au regard de l’objectif ZAN à atteindre en 2050. Les sénateurs ont donc introduit une possibilité de différenciation entre les régions pour permettre aux élus locaux d’élaborer leur propre trajectoire, adaptée à leur territoire. Le premier objectif de réduction de la consommation d’Enaf fixé dans les documents régionaux de planification devra concerner la période 2024-2034.
Pour donner davantage de temps aux élus, une disposition du texte vient repousser la date butoir de modification des documents régionaux à août 2027 (août 2028, pour la Corse et les territoires ultra-marins). En parallèle, la date butoir de modification des documents d’urbanisme serait repoussée à août 2028 pour les ScoT (Schémas de cohérence territoriale) et août 2029 pour les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales (un an plus tard pour la Corse et l’Outre-mer).
Et, afin de mieux associer les collectivités locales à la fixation des objectifs régionaux, les conférences régionales de gouvernance du ZAN seraient remplacées par des conférences élargies, avec davantage de représentants des communes (75% de représentants des communes et intercommunalités et 25% de représentants de la région et de l’État).
Davantage de souplesse dans les documents d’urbanismes modifiés
Les sénateurs ont également souhaité introduire dans la loi la souplesse accordée par la « circulaire Béchu », dont l’application a été hétérogène selon les territoires. Dans leurs documents d’urbanisme modifiés pour y inclure les objectifs de réduction de la consommation d’Enaf, les collectivités pourraient alors ouvrir à l’urbanisation des surfaces dépassant de 20% leur enveloppe foncière théorique (celle fixée dans les documents régionaux de planification). Le dépassement pourrait même être supérieur dans certaines situations, sous réserve d’obtenir l’accord du préfet.
La difficile mesure de l’artificialisation des sols
Plusieurs dispositions concernent la mesure de l’artificialisation des sols. Pour éviter les interprétations parfois divergentes par les services de l’État, le texte vient clarifier la notion de « consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers », en précisant notamment les critères de définition des « secteurs urbanisés ». Il prévoit aussi de maintenir ce mode de comptabilisation au-delà de 2031, car il est bien connu et maîtrisé par les élus locaux.
Le Sénat a par ailleurs choisi d’exclure totalement de la consommation d’Enaf les projets d’envergure nationale et européenne (plutôt que les mutualiser au niveau national) et d’en sortir temporairement (pour 15 ans) les implantations industrielles et leurs raccordements électriques, les infrastructures de production d’énergie renouvelable et d’hydrogène vert, les ZAC (Zones d’aménagement concerté) créées avant 2021, les postes électriques et les services d’eau et d’assainissement, ainsi que la construction de logements sociaux dans les communes carencées au titre de la loi SRU. Enfin, le texte prévoit également la possibilité de mutualiser au niveau de l’intercommunalité la garantie communale de 1 hectare prévue pour les plus petites communes.