«La question des PGE, c’est d’éviter qu’il y ait un mur de dettes»
Ancien président de la chambre des métiers et de l’artisanat du Nord - Pas-de-Calais, président de l’Union des entreprises de proximité, le Lillois Alain Griset a été nommé ministre délégué auprès des PME, au sein du gouvernement de Jean Castex. Entretien exclusif.
La Gazette : Vous êtes désormais ministre après avoir été militant des TPE et PME. Comment le rester ?
Alain Griset : Aujourd’hui je n’ai plus les mêmes responsabilités. J’ai été longtemps celui qui a porté le message pour revendiquer. Aujourd’hui, je pense que ceux que je représentais attendent de moi que j’essaie de répondre aux questions que je posais à l’époque. Je connais les contraintes qui vont être les miennes parce que je fais partie d’un gouvernement, d’une équipe avec des règles. Néanmoins je connais assez bien les problématiques des entreprises que j’ai représentées, et je vais travailler avec Bruno Le Maire et le Premier ministre sur ces différents sujets.
Les prêts garantis par l’État (PGE) sont un des dispositifs que le Gouvernement a mis en place en lien avec les banques. Comment le Gouvernement peut pousser les banques à prêter plus ?
Très honnêtement, ce sujet aujourd’hui ne présente pas de difficultés particulières. Il y a eu au début, c’est-à-dire fin mars, une volonté du Gouvernement pour que le dispositif soit mis en place. Aujourd’hui, on constate qu’il y a eu 600 000 PGE qui ont été mis en place. A ma connaissance, il y a eu à peu près 2% des prêts qui ont été refusés, et pour ceux-là, il existe d’autres dispositifs pour des entreprises qui en ont eu besoin. La question des PGE, c’est d’éviter qu’il y ait un mur de dettes et notre travail, c’est de rassurer entre autres sur les taux après la première année. C’est l’inquiétude qui nous est remontée pour l’après-première année. Nous allons travailler avec Bruno Le Maire et Frédéric Oudéa, président de l’association des banques pour rassurer tout le monde.
Certaines voix régionales se font entendre pour faire évoluer le dispositif PGE en participation directe des banques au capital des entreprises à qui elles prêtent, en particulier aux PME. Est-ce une piste retenue par le Gouvernement ?
Oui, il y a déjà des demandes qui ont été effectuées, mais elles concernent les grandes PME et les entreprises plus importantes. Il faut avoir en tête que la moitié des entreprises françaises ne sont pas en société et ce dispositif-là ne peut pas les concerner. Nous travaillons sur des dispositifs pour ces entreprises-là qui ne font pas partie du spectre initial. Pour ces entreprises qui sont en nom propre, je travaille sur un dispositif de transformation des prêts à long terme afin de les sécuriser et leur permettre de rembourser dans des délais qui soient compatibles avec leurs moyens financiers. Il faut rappeler aussi que l’État a intérêt à ce que les entreprises payent.
Les TPE et les PME, plus que les autres, ont, par leur assise d’activité plus réduite, des problèmes de trésorerie. Leurs charges fixes et variables sont proportionnellement plus lourdes que les entreprises de taille supérieure. Les cotisations sociales et patronales pèsent lourd dans leurs comptes. Est-il imaginable que votre ministère plaide en faveur d’une discrimination fiscale à leur égard ?
La période de la Covid nous amène à tirer des conclusions sur ce que nous avons pu percevoir des problématiques des entreprises. Quand il n’y a pas d’entreprises, quand les commerces sont fermés, quand il n’y a pas d’activité, les villes sont mortes. La première conclusion que j’en tire, c’est que l’entreprise est utile à la vie sociale, à l’emploi. Il faut bien que tous les Français s’en rendent compte. L’entreprise est indispensable et il faut la chérir. Il faut aussi convenir que la France est un des pays les plus protecteurs qui soit. Aux États-Unis, c’est 45 millions de chômeurs en trois semaines… En France, les salariés ont eu la quasi-totalité de leur salaire garanti, des dispositifs comme le Fonds de garantie… L’État a été à la hauteur. Avant même d’être ministre, je l’ai dit. Mais il faut de l’argent pour faire tout cela. La question est de savoir de quelle manière on répartit l’effort de chacun. Derrière les cotisations sociales, il y a la question des retraites, de l’assurance-maladie, de l’hôpital… La répartition est un travail gigantesque qui fait bouger des masses considérables et qui demande du temps. Vous imaginez bien que je suis favorable à ce que les plus petites entreprises aient des cotisations qui soient plus adaptées à leurs moyens, mais ça demande un travail approfondi et quotidien.
Ce n’est pas un tabou ?
Absolument pas. On vit sur un modèle social qui date de l’après-guerre et dont on voit bien qu’il pose question. Par exemple, l’arrivée des plateformes de travail numérique montre qu’elles ne paient quasiment pas de cotisations alors qu’elles font beaucoup de chiffre d’affaires. On peut s’interroger sur le fait que ce soit normal ou pas. Il y aura des éléments qui seront mis sur la table dans les prochains mois.
“L’entreprise est utile à la vie sociale, à l’emploi. Il faut bien que tous les Français s’en rendent compte”
Les Britanniques vont sortir de l’UE dans quelques mois, c’est irréversible depuis le 30 juin. Il semble que ce sera un Brexit «dur». Comment la Région doit-elle se préparer à cela ? Y a-t-il des mesures spécifiques que le Gouvernement envisage pour les Hauts-de-France et quelle doit être la place des PME dans ce tournant ?
Tout d’abord, toutes les négociations ne sont pas terminées. On peut s’attendre au pire mais aussi à de bonnes surprises. Néanmoins, le conseil que je peux donner aux entreprises de cette région, c’est d’essayer de se préparer au mieux. Il faut signaler que la Région Hauts-de-France travaille sur ce sujet depuis des années. Elle a une compétence économique et a donc un rôle d’accompagnement de ces entreprises. Au niveau de l’Etat, la Direction générale des entreprises (DGE) a préparé un guide pour aider les entreprises à se préparer, à se poser les bonnes questions. Il y a une foire aux questions en ligne sur le site de la DGE. On peut également accompagner les entreprises pour faire un audit des impacts potentiels. La Banque publique d’investissement (BPI) pourra aussi accompagner les entreprises qui en ont besoin pour passer cette période qui peut être compliquée.
Les Hauts-de-France sont frontaliers avec trois pays ; Lille est une métropole européenne. Au-delà de la problématique sanitaire particulière, quelles sont les pistes de mesures favorables aux PME que vous souhaitez mettre en œuvre dans le cadre des échanges entre la région et les pays frontaliers ? Les TPE et les PME sont peu exportatrices : comment leur ouvrir les marchés européens et internationaux ?
Les TPE sont peu identifiées exportatrices. Quand elles ont moins de dix salariés, elles ne sont pas identifiées. Mais il y en a plus que nous ne le pensons qui sont exportatrices, en volume et en nombre. Par exemple, à Comines, beaucoup travaillent avec la Belgique. D’autre part, et cela a été dit par le président de la République, il y a l’aspect de la concurrence qui doit être plus loyale, en particulier sur le travail détaché pour lequel vous avez pu constater des premières mesures prises sur la rémunération. Le Président l’a dit et la ministre Muriel Penicaud s’est engagée sur les questions des cotisations. Ça permet de régler une partie de la concurrence déloyale. En ce sens, l’harmonisation fiscale reste un objectif à atteindre.
Les dossiers régionaux sont légion, parmi eux, le canal Seine-Nord et le port de Calais-Boulogne. Comment votre ministère peut-il influer positivement pour l’accès à ce marché des PME ? Est-il prévu de simplifier les procédures pour ces entreprises qui ne disposent pas des moyens humains comparables aux plus grandes ?
Il faut rendre accessibles ces marchés à nos entreprises ; ce sont des questions d’allotissements, de sous-traitances, qui sont des sujets extrêmement importants. Lorsqu’on dit qu’on veut faire travailler les entreprises locales, il faut que les outils soient adaptés. Aujourd’hui, un certain nombre d’entreprises ne répondent pas à ces marchés parce qu’ils sont trop gros ou que les dispositifs ne répondent pas à leur taille. C’est une préoccupation sur laquelle je souhaite que mon ministère puisse travailler. A chaque fois qu’un ministre dit qu’il faut simplifier, les entreprises peuvent penser que ça sera encore plus compliqué. Sans alourdir les dispositifs, je suis persuadé qu’on peut gagner du temps. Sans annoncer un énième plan de simplification, je compte bien y travailler tous les jours.
Vous avez été chauffeur de taxi. Planchez-vous sur des mesures particulières concernant cette profession ? Quelles pourraient-elles être ? Est-ce urgent ?
Tout est urgent. Personnellement, je ne suis plus taxi depuis quatre ans et je n’ai pas conduit de taxi depuis vingt ans vu que j’ai pris des responsabilités nationales. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai plus le taxi dans mon cœur ou que je l’ai oublié. Par ailleurs, c’est une profession qui n’est pas dans le périmètre de mon ministère. Cela dépend du ministère des Transports. Les taxis sont dans le périmètre de mon ministère sur le plan social et fiscal, mais pas sur le plan réglementaire.