La preuve par le fil
Après être sorti d'un redressement judiciaire qui a duré 18 mois, le fabricant de dentelles de Calais Desseilles Laces enchaîne les commandes et vient de bénéficier - enfin - d'une aide des pouvoirs publics. Retour sur une prouesse industrielle qui donne naissance à un nouveau modèle sur la place de Calais.
Qui a dit qu’il fallait être «gros» dans la dentelle pour gagner de l’argent ? Qui croit encore que les coûts − dans une profession où la masse salariale pèse tant − étaient incompressibles ? La PME calaisienne Codentel l’avait déjà prouvé en partie avec moins de 20 salariés et quelques produits phares situés, pour certains, dans des niches. Desseilles Laces (6 millions d’euros de chiffre d’affaires et une cinquantaine de salariés en 2013) vient aussi d’en faire la démonstration à l’occasion de la sortie de son redressement judiciaire le 26 juin dernier. Quand le trio Jean-Louis Dussart, Michel Berrier et Gérard Dezoteux avait repris le dentellier lors de l’été 2011, peu sur la place y croyaient. La requalification d’anciens salariés protégés alourdissait alors le plan de charge de l’entreprise. Des problèmes récurrents avec la teinturerie Color Biotech (ex-Bellier) gênaient la livraison des dentelles de Desseilles. Fin 2012, le fabricant de Leavers était contraint de déposer le bilan auprès du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer.
Trois leviers et un trio complémentaire.
Paradoxe permanent depuis sa reprise, l’entreprise engrangeait commande sur commande en dépit de prix conséquents. «On savait dès le départ où on voulait aller et comment on voulait y aller», disait à l’époque le dirigeant Jean-Louis Dussart. Côté création, Gérard Dezoteux faisait vibrer les stylistes des grandes maisons de lingerie. Sévèrement concurrencée par les tarifs très bas de Noyons dentelles, Desseilles gardait cependant le cap et s’ouvrait à des partenariats pour la dentelle tricotée en Asie : «près de 15% de chiffre d’affaires en plus», estime le dirigeant. Pour redresser la barre, Desseilles s’est aussi délesté des salariés protégés : près d’un demi-million d’euros par an d’économie. «Ils produisaient très peu», lâche à cet égard Jean-Louis Dussart. Enfin, il a fallu faire des choix à la teinturerie. «Rien qu’en jacquard (dentelle tricotée) on a économisé deux tiers sur le prix en allant en Italie et en Autriche… Et on paie à 60 jours contre 10 chez Color Biotech, ajoute le cadre. Ça raccourcira les délais pour les autres dentelliers…» Un levier «chiffre d’affaires», un levier «trésorerie» et un levier «ressources humaines» constituent le trépied sur lequel Desseilles avance désormais fermement. Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a accepté le plan de continuation de l’équipe dirigeante qui a pour agenda décennal le remboursement de 2 millions d’euros de dettes fiscales et sociales.
Mais Desseilles avait un autre argument de poids : il génère du résultat depuis le début de l’année. Cap Calaisis ne s’y est pas trompé en acceptant de lui prêter 100 000 euros au lendemain de sa sortie du tribunal de commerce. Les édiles locaux ne pouvaient pas faire moins après avoir acheté, ces dernières années, pour plusieurs millions d’euros de foncier et d’immobilier à Noyon dentelles, lui aussi sorti d’un redressement judiciaire en 2010. Avec une différence de taille : Noyon ne dégage pas de résultat depuis, pas plus qu’il n’en générait auparavant.