La pauvreté, bombe à retardement de la pandémie
La pandémie frappe durement les populations déjà précaires et en plonge de nouvelles dans la pauvreté, alerte une note de France Stratégie. Une véritable bombe à retardement économique, sociale et même politique, que la politique du gouvernement ne prend pas assez en compte.
À l’heure du deuxième confinement, le cri d’alarme se fait encore plus retentissant, quant à l’ampleur de la casse sociale engendrée par la pandémie, et à ses conséquences sur le long terme pour la société entière. Par exemple, la crise plonge dans la pauvreté de nouvelles catégories de personnes, dont des indépendants. Or, cette situation «pourrait être vécue très difficilement par des personnes qui ne faisaient pas partie jusqu’à présent de ce groupe. On ne sait pas aujourd’hui les effets sociaux et politiques à en attendre», pointe la note d’analyse de France Stratégie, organe de réflexion rattaché à Matignon, publiée le 1er octobre. Intitulé «La lutte contre la pauvreté au temps du coronavirus : Recommandations du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté», le document a été publiée à la demande du Comité, qui, face à l’urgence, a tenu à anticiper la parution de son prochain rapport (mars 2021). Premier constat, «la crise du coronavirus a touché en particulier les plus démunis.» Par exemple, le lien est établi entre surmortalité et conditions de santé, de logement et d’emploi des populations. La période du confinement s’est révélée particulièrement éprouvante pour une multitude les personnes déjà fragiles, à l’image d’adolescents confiés à l’Aide sociale à l’enfance qui ont parfois dû retourner chez eux, sans suivi, d’individus vivant dans des bidonvilles, ou des étudiants précaires privés de petits boulots et de l’accès aux restaurants universitaires. Quant aux SDF, ils ont subi des «conditions sanitaires dégradées du fait de la fermeture des accueils de jour et des sanitaires publics.»
Les trous dans la maille de la politique publique
La politique du gouvernement face à la crise ne répond que très partiellement à ces drames présents et en puissance, décrit la note d’analyse. Les plans successifs ne prennent, en effet, que peu en compte les populations déjà fragiles. Dans un premier temps, le plan d’urgence lié au confinement – 110 milliards d’euros – s’est concentré sur les entreprises et les salariés. Il est vrai qu’il a constitué un «stabilisateur économique et social» qui a maintenu complètement ou en grande partie les revenus pour une large partie de la population (retraites, minima sociaux, indemnités journalières, allocations chômage, chômage partiel, élargissement du champ des arrêts maladie). En revanche, «une partie importante de la population, moins bien couverte, a connu des difficultés de subsistance accrues», pointent les analystes. Ceux là risquent aujourd’hui de basculer dans la pauvreté. La logique demeure la même concernant le plan de relance, annoncé en septembre – 100 milliards d’euros -. Son volet «cohésion» pèse 36 milliards d’euros. Toutefois, «la part allouée aux personnes en situation de pauvreté dans le plan est très limitée», estiment les experts. Ainsi, 800 millions d’euros sont dédiés aux «mesures de soutien aux personnes précaires», dont 533 millions d’euros pour la hausse exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire.
Limiter les inégalités territoriales et aider les enfants
En juillet dernier, Jean Castex, Premier ministre, avait indiqué que la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté serait adaptée «en fonction de la conjoncture», liée à l’épidémie. Mise en place en 2018, cette stratégie s’articule autour de deux axes principaux, l’action dès le plus jeune âge pour éviter une reproduction sociale de la pauvreté, et une sortie de la pauvreté par la formation et l’accompagnement vers l’emploi. Mais pour le Comité d’évaluation, aujourd’hui, les aides gouvernementales «ne répondent pas à tous les besoins en matière de lutte contre la pauvreté que la pandémie a révélés et générés (…).» Il est donc nécessaire, selon le Comité, «de les compléter». Plusieurs recommandations sont émises à ce sujet. Parmi elles, celle d’augmenter les budgets consacrés à la lutte contre la pauvreté, et de veiller aux inégalités territoriales déjà constatées, afin de les limiter. Le Comité préconise également de prêter la plus grande attention au fait que les nouveaux bénéficiaires potentiels de prestations de solidarité identifient et recourent aux dispositifs auxquels ils ont droit. Autre préconisation, celle d’accompagner au mieux les enfants issus de milieux défavorisés, lesquels sont en train de payer un très lourd tribut à cette crise. Autant de destins individuels potentiellement brisés, et une véritable bombe à retardement pour la société entière.