La mort de Nahel en banlieue de Paris, étincelle d'une colère qui perdure

Un jeune de banlieue tué par un policier, à bout portant, lors d'un contrôle routier: ce matin d'été 2023, c'est la mort de trop qui fait basculer la France dans une semaine d'émeutes bien plus ravageuses...

Des pompiers tentent d'éteindre une voiture en feu en marge d'une manifestation à Nanterre,  théâtre d'incidents en soirée, le 27 juin 2023 © Zakaria ABDELKAFI
Des pompiers tentent d'éteindre une voiture en feu en marge d'une manifestation à Nanterre, théâtre d'incidents en soirée, le 27 juin 2023 © Zakaria ABDELKAFI

Un jeune de banlieue tué par un policier, à bout portant, lors d'un contrôle routier: ce matin d'été 2023, c'est la mort de trop qui fait basculer la France dans une semaine d'émeutes bien plus ravageuses qu'en 2005, syndrome d'une histoire qui se répète.

Le 27 juin, dans les rues de Nanterre, à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Paris. Nahel, 17 ans, roule à vive allure en Mercedes, avec deux autres adolescents de 14 et 17 ans comme passagers. Poursuivie par deux policiers, la voiture est stoppée dans sa course par les embouteillages. 

Le jeune automobiliste aurait ensuite foncé vers les fonctionnaires, provoquant le tir mortel: cette première version policière est cependant rapidement contredite par la diffusion d'une vidéo où l'on voit le policier, sur le côté du véhicule, tirer à bout portant dans l'habitacle. 

Mis en examen et incarcéré pour meurtre, le policier sera remis en liberté sous contrôle judiciaire le 15 novembre: pour la mère de Nahel, une "véritable injustice".

La mort du jeune Français dont les parents sont originaires du Maghreb déclenche une immense émotion et rallume les débats sur les violences policières et le racisme dans la police.

Son destin résonne avec celui d'autres jeunes décédés lors d'une intervention des forces de l'ordre: Adama Traoré en 2016, Moushin et Lakamy en 2007 ou Zyed et Bouna en 2005, dont la mort avait entraîné trois semaines d'émeutes.

Surenchère

Dès le premier soir, Nanterre s'embrase: tirs de feux d'artifice, mobilier urbain et voitures incendiés. Massivement relayée par les réseaux sociaux, la colère gagne de nombreuses villes de province, jusqu'à celle d'Annonay en Ardèche. 

Ces villes petites et moyennes "se distinguent nettement des autres par leur profil social plus défavorisé", analyse Marco Oberti, chercheur à Sciences Po, pour qui beaucoup furent aussi "des lieux de rassemblement" des +gilets jaunes+.

Habillés de noir, masqués, les émeutiers s'en prennent aux symboles de la République: écoles, mairies, élus. 

La majorité des condamnés par la suite seront des hommes très jeunes, peu diplômés, de nationalité française et, pour Paris et sa première couronne, issus de familles du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne.

Les émeutes prennent rapidement la forme de pillages de magasins. Les images d'affrontements "inondent les réseaux sociaux et participent d'une euphorie collective et d'une surenchère", relève Marco Oberti.

L'embrasement retombe le 5 juillet, mais le bilan dépasse largement celui des émeutes de 2005: jusqu'à 45.000 forces de l'ordre mobilisées (contre 11.700 en 2005), 1.239 peines de prison ferme (contre 400), et 730 millions d'euros de dégâts (contre 204).

L'usage des lanceurs de balles de défense (LBD) par les forces de l'ordre revient vite au centre des critiques à mesure que s'allonge la liste des victimes. Parmi elles, Mohamed Bendriss, 27 ans, décédé à Marseille, et Hedi, 21 ans, amputé d'une partie du crâne. 

"Il faut s'atteler à reciviliser", exhorte fin août Emmanuel Macron, évoquant "un problème d'intégration". Très attendue, la réponse du gouvernement tombe en deux temps à l'automne. 

Un volet sécuritaire, annoncé par Elisabeth Borne, rend possible l'encadrement militaire des jeunes délinquants ainsi que des peines de travaux d'intérêt général pour les parents. Le lendemain, place à des mesures plus sociales pour les quartiers prioritaires, entre "testing" contre les discriminations et changement des règles d'attribution des logements sociaux.

Assis sur un chaudron

Mais pour beaucoup, le compte n'y est pas. 

"Nous avions interpellé le président pour dire que nos territoires se paupérisaient et qu'on était assis sur un chaudron", rappelle Catherine Arenou, vice-présidente de l'association Ville et Banlieue. "Avez-vous entendu, vous, une vraie remise à plat pour connaître les causes des émeutes?", interroge l'élue DVD. 

"La réponse politique est décalée par rapport à la réalité", abonde Patrick Chaimovitch, maire EELV de Colombes (Hauts-de-Seine), alors qu'"on retire des moyens aux établissements scolaires et que les bureaux de poste ferment".

"On sait très bien que la solution ne peut pas être instantanée", reconnaît le maire de Trappes (Yvelines) Ali Rabeh (Génération.s). Mais "rien de sérieux n'a été produit", juge l'élu, pour qui "il n'y a pas de souffle, pas de cap pour en finir avec les ghettos".

A La Verrière (Yvelines), où deux écoles ont été brûlées, le maire (DVD) Nicolas Dainville a le sentiment qu'"on danse sur un volcan": "Au moindre drame, je crains qu'on ne revive ces événements dramatiques".

Interrogé au Sénat, le sociologue François Dubet se dit frappé par la "répétition" de l'histoire, depuis les premières grandes émeutes des années 1980 en banlieue lyonnaise. Une répétition "sur le sentiment de discrimination, d'injustice, de chômage, de mise à l'écart" et sur le "déclenchement quasi automatique par une confrontation avec la police".

Selon Julien Talpin, chercheur au CNRS, "il y a bien eu une volonté du gouvernement de consulter les universitaires". Mais les questions des violences policières et du traitement institutionnel des habitants des quartiers ont été "écartées", symptôme selon lui "d'une volonté de ne pas s'attaquer aux vrais problèmes".

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