La mobilité liée aux loisirs livre ses secrets
Alors que la mobilité domicile-travail est observée sous toutes ses coutures, les déplacements résultant des loisirs sont rarement étudiés. Une enquête montre que chacun dispose en moyenne de 36 heures de temps libre, un temps que l’on préfère passer non loin de chez soi.
Pour quelles raisons se déplace-t-on ? Si l’on se fie aux textes législatifs sur la mobilité, ainsi qu’aux discours des élus locaux et des opérateurs de transports, les réponses semblent aller de soi : le travail, les études, les courses, les démarches administratives. Tout déplacement serait nécessairement utilitaire. Et les loisirs ? Le cinéma, la piscine, mais aussi le jardinage, le sport, les actions militantes ? Ces activités n’apparaissent que marginalement dans le décompte des trajets. Les données seraient trop dispersées, trop complexes à calculer. Il existe certes des enquêtes sociologiques portant « sur l’emploi du temps », mais elles « ne prennent pas en compte les déplacements, tandis que l’étude de la mobilité néglige le temps libre », observe Sylvie Landriève, la directrice du Forum vies mobiles (FVM), un organisme de recherches financé par le SNCF, qui a décidé de combler cette lacune. En 2023, en été puis en hiver, 12 000 personnes ont répondu à une enquête sur leurs activités de temps libre. Puis, un panel de 120 personnes a répondu à une enquête qualitative.
Le premier enseignement de l’étude « Mobilité et temps libre du quotidien » est factuel : en moyenne, la durée du temps libre s’établit à 36 heures par semaine, soit « l’équivalent d’une semaine de travail ». Les disparités en fonction de l’âge, du rapport au travail et du sexe sont flagrantes. Si les hommes profitent de 41 heures de temps libre, les femmes n’en disposent que de 32, conséquence du poids des tâches ménagères et la charge mentale nécessaire à la tenue du foyer. Dans Les filles du coin (Presses de Sciences Po, 2021), la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy expliquait comment la division des tâches selon le genre cantonne les femmes à certains métiers, ainsi qu’à un mode de vie et à des déplacements non choisis.
L’enquête du FVM montre également des écarts liés à l’âge. Chez les 18-24 ans, la durée du temps libre est comparable à la moyenne, avant de diminuer jusqu’à 45 ans, puis de remonter à 50 heures par semaine chez les 65-75 ans. Enfin, les personnes qui ont des enfants à charge profitent en moyenne de 14 heures de moins de temps libre que celles qui n’en ont pas.
On se déplace moins loin
Les modes de vie structurent la mobilité. En moyenne, 40% du temps de déplacement est consacré à des trajets de loisirs, la même durée que pour le travail, les 20% restants étant dévolus aux activités contraintes. Mais si le travail est à l’origine de 170 kilomètres parcourus chaque semaine, le temps libre ne requiert que 100 kilomètres hebdomadaires. Et 82% des occupations divertissantes se passent à moins de 20 kilomètres du domicile. Le FVM y voit « une aspiration à ralentir ». En outre, « même si la voiture domine la mobilité associée au temps libre, elle occupe une place inférieure à celle observée dans les déplacements domicile-travail », indique Agathe Lefoulon, chargée de recherches à FVM. Ainsi, 36% des personnes qui se déplacent pour leurs loisirs n’utilisent jamais la voiture.
Les 120 participants au « Forum citoyen » constitué par le FVM ont été réunis par groupes de 30, répartis en fonction du type de territoire où ils vivent : la « France qui va bien », littoraux et grandes villes, la « France qui ne va pas bien », un vaste bassin parisien, puis l’Ile-de-France et enfin les Dom-Tom. Ces critères géographiques sont ceux de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Chaque panel a été réuni trois jours durant, chacun étant « logé, nourri, indemnisé comme le sont les jurés d’assises », précise Sylvie Landriève.
Lors de ces journées de travail, les panelistes ont fait émerger cinq principales préoccupations, et trois d’entre elles ont trait de près ou de loin à la mobilité. Les citoyens aspirent sans surprise à « une vie sociale riche » et à « un temps libre plus continu et apaisé », et non pas morcelé en courtes périodes entrecoupées de contraintes. Pour faciliter leur mobilité de loisirs, les panelistes réclament « l’accès à des transports en commun fiables et efficaces », notamment lorsqu’il fait nuit, une période qui commence vers 17 heures en hiver.
Sylvie Landriève admet avoir été « surprise » par plusieurs résultats. Alors que le discours public présente l’automobile comme un recours indispensable lorsqu’on n’a pas accès aux transports en commun, l’enquête révèle que de nombreuses personnes hésitent à conduire dans certaines circonstances : la nuit, lorsqu’elles sont sous substances, « l’alcool, bien sûr, mais aussi les médicaments », ou lorsque le trajet de retour n’est pas assuré. FVM les baptise « les éconduits de la route ».
Autre constat surprenant : « la dispersion territoriale des familles ». Les vies familiales ne se dessinent plus tant dans un périmètre de quelques dizaines de kilomètres, mais s’inscrivent dans un territoire bien plus vaste. Dans ses travaux, le sondeur et analyste politique Jérôme Fourquet avait déjà mis en évidence une forte augmentation, ces dernières décennies, du nombre de décès en-dehors du département de naissance. Or, « on ne va pas cesser de voir nos proches. La dissémination des familles impliquera donc à l’avenir toujours plus de déplacements, avec des conséquences écologiques », souligne la directrice du FVM.
L’impact environnemental des déplacements, un enjeu majeur, ne semble d’ailleurs pas faire vraiment partie des réflexions du panel de citoyens. Dans une prochaine enquête à paraître en février 2025, l’organisme de recherches se penchera sur l’analyse, dans une sélection de sept départements, des mobilités alternatives à la voiture.