Entretien avec Mathias Povse, directeur de l'action territoriale EDF Hauts-de-France
« La France n'est pas du tout en retard sur la décarbonation »
Premier producteur d'électricité bas carbone avec huit sites en Hauts-de-France, le groupe EDF compte 10 000 salariés en région. Mathias Povse, directeur de l'action territoriale EDF Hauts-de-France, revient sur le contexte économique et les enjeux des collectivités, entre sobriété énergétique et maîtrise de la facture.
La Gazette. Est-ce une crise sans précédent qu'a connu le pays, avec la flambée des prix de l'énergie ces derniers mois ?
Mathias Povse. Les débuts de la crise énergétique ont d'abord été économiques au sortir du Covid, avec l'envol du prix du gaz et un prix du mégawatt au delà des 500/600€ (contre 50 à 60 juste avant la crise). Il faut rappeler que le prix de l'électricité est fixé sur celui du gaz, en fonction des règles de fixation des prix à l'échelle européenne. En aucun cas, EDF ne vient fixer les prix. Qu'il s'agisse des collectivités, des entreprises, des particuliers ou des industriels, nous sommes tous engagés dans une transition écologique et énergétique et dans la décarbonation des usages.
Justement, comment se positionne la
France sur ces enjeux de décarbonation ?
En France, nous avons très peu de moyens de productions carbonés et sommes largement favorisés par notre parc historique, à la fois en nucléaire et en énergies renouvelables. On arrive aujourd'hui à un mix énergétique décarboné à 95%, c'est très conséquent. Si on se compare à l'Allemagne qui était autour de 450 grammes de CO2 par kilowatt/heure produit, en France, on est à... 45 !
Certes, l'Allemagne a un parc très
élevé (67 gigawatt d'éolien et 64 de solaire) mais quand les
conditions climatiques ne sont pas réunies, le reste de la
production est géré par des moyens très carbonés comme le
charbon, la lignite et le gaz. Et avec le conflit ukrainien et
l'interruption des approvisionnements en gaz, il y a eu un repli vers
le charbon et la lignite.
En aucun cas la France n'est en retard
sur l'objectif final de décarboner son mix électrique.
Néanmoins, comment faire comprendre
aux clients que la facture s'est envolée ?
On est dans une situation inédite mais aussi dans une complexité puisque le prix du gaz est fixé par un marché mondial et celui de l'électricité, par le marché européen. Et ce déséquilibre se répercute sur la facture. Dès le mois d'août 2022, on a commencé à travailler sur la présentation de l'ensemble des mesures notamment le bouclier tarifaire, l'amortisseur, le guichet unique, le filet de sécurité pour les collectivités locales...
Dans les Hauts-de-France a aussi été
créée la Task Force Energie, en lien avec le Medef et la CCI
régionales ainsi que l'ensemble des moyens de la Région pour mettre
à disposition les informations et des aides disponibles.
Les élu(e)s ont aussi eu à subir ce
prix exponentiel de l'énergie, qui vient s'ajouter à leur budget...
En effet, les collectivités ont du s'adapter de manière budgétaire à cette hausse de l'énergie avec des mesures d'efficacité énergétiques. On les accompagne sur plusieurs domaines. Par exemple, comprendre et suivre leur consommation est devenu un important centre d'intérêt. On a donc développé «Expertise conso», outil de mesure qu'on développe et qu'on installe sur le patrimoine des collectivités et qui permet de connaître les consommations, de mieux les comprendre et donc de mieux les piloter. Cela a été le cas sur la ville de Denain pour laquelle on a équipé 79 sites pour les superviser. Résultat, 10% d'économies d'énergie, ce qui n'est franchement pas négligeable au vu des prix.
Mais aussi sur le PIB, le Pilotage
Intelligent des Bâtiments. Il s'agit de centraliser et d'automatiser
les températures, d'améliorer le confort des bâtiments et
d'optimiser la facture énergétique. Par exemple, à Moyembrie, dans
l'Aisne, nous avons piloté les usages de quatre bâtiments pour un
total de 1 800 m2, avec une réduction de la consommation
de l'ordre de 50 et 60% de la consommation, soit une facture réduite
de 13 000€ par an !
On peut également évoquer le pilotage
de l'éclairage public – en passant aux LED, la consommation est
réduite de 80% – et sa variation en fonction de la période de la
nuit.
Cela passe aussi par une pédagogie vis à vis des citoyens ?
Il y a une population à ne pas oublier
: les personnes en situation de précarité qui sont sous la
compétence des collectivités au travers des activités sociales. Au
niveau national, EDF travaille depuis plus de 30 ans avec elles au
travers du FSL (Fonds de Solidarité pour le Logement) et des
différents partenaires comme le CCAS et les Pimms (Points
d'information médiation multi service).. organismes de médiation),
pour que la facture énergétique ne soit pas un facteur aggravant.
Cela passe par la mise en ligne des
services sociaux avec les personnes en difficulté pour s'assurer de
leur accès à l'ensemble des aides et éviter de se trouver dans une
situation inextricable mais aussi par des présentations des
éco-gestes pour réduire de manière significative sa consommation
d'énergie. En tout, nous avons 23 conseillers, basés à Marly dans
le Valenciennois et à Marcq-en-Barœul en métropole lilloise, qui
sont en lien permanent avec les collectivités des Hauts-de-France.
Travaillez-vous avec des start-ups pour développer de nouvelles innovations ?
Oui, avec une soixantaine de strart-up
sur différents sujets ainsi qu'avec le pôle d'excellence Médée,
sur le projet Groupee 4.0, sur la Gestion Renouvelable Optimisée
d'Unités de Production de biens et de services Energétiquement
Efficaces, qu'on mène en lien avec le bailleur social Partenord,
l'école des Arts et Métiers de Lille, le réseau de véhicules en
autopartage Citiz et Enedis. On a ainsi travaillé sur un bâtiment
équipé de panneaux photovoltaïques en auto-consommation et qui
alimente des bornes de recharge pour les voitures. Ce projet très
innovant sert de base et de référence sur les smart grids.
Avec notre filiale Dalkia, nous
travaillons aussi à des contrats de performance énergétique
: sur des installations comme les lycées par exemple, avec la
réduction de la consommation énergétique et donc des émissions de
CO2 , avec un engagement de performance sur la durée
Depuis l'engagement des Hauts-de-France dans la Troisième Révolution Industrielle il y a plus de 10 ans – aujourd'hui rebaptisée rev3 –, la région est-elle à la pointe sur les énergies de demain ?
Les Hauts-de-France représentent 10%
de la consommation d'électricité de la France et sont la première
région éolienne de France. L'an dernier, la puissance éolienne
installée était de 5 740 mégawatt alors que la puissance de la
Centrale de Gravelines – la plus importante d'Europe – est de 5
460 MW. On a donc dépassé la puissance installée en énergies
renouvelables ! Mais en revanche, la production d'énergies
renouvelables ne comptent que pour 23% de la production d'énergie
car il faut gérer l'intermittence.
L'agglomération de Dunkerque représente à elle seule 21% des émissions de CO2 avec ses géants industriels comme Arcelor Mittal et Aluminium Dunkerque. C'est un territoire fortement engagé car très concerné et aujourd'hui, l'ensemble du programme de décarbonation lancé il y a 10 ans est en train de porter ses fruits. D'ailleurs, un écosystème s'est créé au niveau du Port de Dunkerque, en lien avec l'Ademe, la Communauté Urbaine de Dunkerque et Dalkia, pour mettre en place l'«autoroute de la vapeur», qui va récupérer la chaleur fatale des industriels pour la transporter et la mettre à disposition de la gigafactory de Verkor. La région a été l'une des premières à se projeter dans ces rénovations énergétiques et aujourd'hui elle sert d'exemple.