La France championne du tourisme industriel

Depuis 2012, Les Faiseurs de bateau, basés à St-Omer (Pas-de-Calais), ont fait le choix d'ouvrir leurs portes au public pour faire vivre le patrimoine local et entretenir la mémoire via la transmission orale à propos de l'histoire de ses bateaux et de leurs techniques de construction. Une visite guidée qui débute par une croisière commentée dans le marais à bord d'un bacôve (embarcation traditionnelle), conduit par un guide passionné des lieux, de son histoire, de sa faune et de sa flore. Puis direction le chantier naval où les visiteurs peuvent découvrir l'histoire de l’entreprise et de la batellerie locale. « Ces visites nous apportent beaucoup, assure Jérémie Flandrin, gérant de l’entreprise Les Faiseurs de bateaux, EPV (Entreprise du patrimoine vivant) : rencontre avec des passionnés, renforcement de notre image, bouche à oreille ».

Chiffre d’affaires additionnel et emplois à la clé

De la même manière, les deux chocolateries de Beussent ( Pas-de-Calais) et de Lachelle (Oise) accueillent chaque année des visiteurs de tous types : scolaires, associations, touristes, particuliers, entreprises, curieux. Des visites qui génèrent quelques centaines de milliers d’euros de ventes à l’année et plusieurs emplois. L’occasion pour la PME Beussent Lachelle créée en 1985 de montrer et partager son savoir-faire artisanal, d’être transparent pour ses clients, mais aussi de « voir les yeux des enfants écarquillés, créer des vocations, et par attache à nos territoires qui nous sont chers , explique Vladišlavić Fernández, directrice marketing et communication de la PME qui commercialise environ 300 références de chocolats. On y apprend comment on fabrique un praliné, une ganache, un moulage Père Noël et le chocolat, de la fève de cacao à la tablette : plantation de l’arbre, récolte des fèves, fermentation et séchage, transport par bateau, torréfaction, concassage et broyage des fèves. A certaines périodes de l’année, la chocolaterie organise même des ateliers pendant lesquels les participants peuvent s’essayer au travail du chocolat : ils enfilent alors leur tablier et repartent avec leurs créations. « Certaines personnes nous connaissent par nos 27 boutiques [dans les principales villes des Hauts-de-France, en région parisienne, en Normandie et à La Baule] et peuvent être intéressées de découvrir la façon dont sont faits les chocolats qu’ils apprécient. L’inverse est vrai aussi, on vient visiter la chocolaterie de Beussent ou de Lachelle et, convaincu, par ce qu’on y a vu, on a hâte de retrouver les chocolats qu’on a vus fabriquer, dans une boutique près de chez soi », justifie Gala Vladišlavić Fernández.

C’est aussi pour expliciter le métier méconnu de brasseur que Amaury d’Herbigny, fondateur de Célestin, la micro-brasserie du vieux Lille (10 salariés), a fait le choix il y huit ans d’ouvrir les portes de l’entreprise. « On s’aperçoit que le public ne sait rien. Il pense que c’est simple de faire de la bière. Cela nous permet de valoriser notre métier », explique celui qui a créé l’entreprise en 2014. Pendant une heure, un salarié brasseur ou le fondateur lui-même explique tout le processus de production et le brassage de la bière. A la fin de la visite, les visiteurs sont invités à déguster trois bières ou du jus de pomme. « Cela nous permet d’avoir des retours et d’être en contact direct avec les clients et consommateurs et de faire marcher le bouche à oreille. C’est toujours bon car les gens parlent de nous en bien : on a des bons commentaires sur Google ». Enfin, ces visites apportent un chiffre d’affaires additionnel, avec près de la moitié des visiteurs qui se rendent à l’issue de la visite dans la boutique de la micro-brasserie, située à 50 mètres du lieu de production. Pour l’heure, les visites, qui coûtent 14€ par personne, sont regroupées sur la journée du samedi, parfois en semaine si le planning le permet. « J’ai de plus en plus de demandes en semaine, mais c’est plus compliqué à gérer. Il faudrait embaucher quelqu’un. Du coup, j’en refuse pas mal ».

20 millions de visiteurs par an

Avec respectivement 19 000, près de 10 000 et 2 500 visiteurs chaque année, ces trois entreprises font partie de celles qui sont les plus visitées dans les Hauts-de-France.

Sur l’ensemble du territoire, ce sont quelque 20 millions de visiteurs accueillis chaque année, soit une progression de 40% en trois ans. Alors que dominent, à l’étranger, les musées d’entreprise, le tourisme industriel en France fait figure de spécificité, voire d’exception française. En 2023, la France s’est ainsi affirmée comme le premier pays du tourisme industriel, avec des régions clés comme la Provence-Alpes-Côte d'Azur et la Nouvelle-Aquitaine. La visite d’entreprise attire principalement un public familial (55 %) et des visiteurs de la région (70%), comme l’indique l’observatoire 2023 d’Entreprise et Découverte. Au total, ce sont quelque 3 500 entreprises qui sont ouvertes au public et référencées sur le site de l’association qui vise à valoriser et à promouvoir le « tourisme de savoir-faire » et propose, sur l’ensemble du territoire, des visites au cœur de la production d’entreprises issues de tous secteurs –agroalimentaire, vins, bière et spiritueux, industrie, énergie et environnement, artisanat et métiers d’art, mode et cosmétique.

Le secteur agroalimentaire plus convoité

Avec 38% des visites, le secteur de l’agroalimentaire domine toujours dans la visite d’entreprise. Deux secteurs progressent néanmoins sensiblement depuis 2020 : la mode et cosmétique (9%) et les vins, bières et spiritueux (24%). Parmi les autres secteurs les plus visités, l’industrie et énergie (15%) et l’artisanat et métiers d’art (14%). Dans le palmarès des dix entreprises les plus visitées en France figurent notamment les sites EDF (répartis sur toute la France), la Verrerie de Biot (Région Sud), la confiserie des Hautes Vosges et la confiserie Bressaude (Grand-Est), la cave de Gan Jurançon (Nouvelle-Aquitaine), Les Salins du Midi (Occitanie), la Biscuiterie de Pont Aven (Bretagne), Maison Pèlerin (Normandie). A noter la forte dimension patrimoniale de ces entreprises historiquement ancrées dans leur territoire avec 48% d’entre elles qui ont plus de 50 ans (vs 34% en 2017).

Charlotte DE SAINTIGNON