La (chère) bataille du plein-emploi
Le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel du projet de loi pour le plein-emploi. Mais, le retournement de conjoncture rend cet objectif difficilement atteignable, bien que les moyens financiers déployés soient déjà faramineux…
Emmanuel Macron s’est fait réélire sur la promesse de réduire le taux de chômage aux alentours de 5 % d’ici à 2027. Hélas, selon l’Insee, au troisième trimestre 2023, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) a augmenté de 0,2 point, à 7,4 % de la population active en France (hors Mayotte). Si l’on paraphrase un ancien président de la République, la courbe du chômage est en train de s’inverser, mais pas dans le bon sens…
Quoi qu’il en soit, le taux de chômage reste 3,1 points au-dessous de son pic de mi-2015. Dans le détail, il augmente de 0,7 point pour les 15-24 ans (17,6 %), de 0,2 point pour les 25-49 ans (6,7 %), mais reste stable pour les 50 ans ou plus (5,1 %). Mais pour obtenir une vision plus précise de la réalité du chômage, il peut être judicieux d’ajouter aux 2,3 millions de chômeurs au sens du BIT les quelque 2 millions de personnes (halo du chômage) qui souhaitent un emploi, mais n’en recherchent pas ou ne sont pas disponibles.
Un phénomène social multidimensionnel
Multidimensionnel par essence, le chômage ne peut s’appréhender par un seul chiffre, qui d’ailleurs ne dit rien sur la précarité de l’emploi ou la difficulté à en retrouver un, alors que parmi les 2,3 millions de chômeurs, 539 000 en recherchent un depuis au moins un an. Le taux de chômage doit ainsi s’analyser en parallèle du taux d’activité, défini comme le rapport entre le nombre d’actifs (personnes en emploi et chômeurs) et l’ensemble de la population correspondante, afin d’en savoir plus sur la participation des catégories de la population à l’activité économique.
Ainsi, au troisième trimestre 2023, le taux d’activité des 15-64 ans avoisine les 73,8 %, tout juste 0,1 point de moins que son plus haut niveau historique atteint le trimestre dernier, mais toujours éloigné de celui de l’Allemagne ou des Pays-Bas. Sur le trimestre, dans le détail, le taux d’activité est de 42,9 % pour les 15-24 ans, 88,1 % pour les 25-49 ans et 70,5 % pour les 50-64 ans. La réforme des retraites du gouvernement visant d’ailleurs l’augmentation de ce dernier, ce qui suppose que les entreprises acceptent d’embaucher des salariés âgés dans des conditions décentes. Ironie de l’histoire sociale : alors que le vieillissement démographique permet, a priori, de faire baisser le taux de chômage puisque moins d’actifs arrivent sur le marché, le report de l’âge légal de départ en retraite va au contraire jouer en sens inverse…
L’un dans l’autre, selon l’Enquête Emploi de l’Insee, « 16,9 % des participants au marché du travail (personnes actives ou dans le halo autour du chômage) se trouvent contraints dans leur offre de travail, que celle-ci ne soit pas utilisée (au chômage ou dans le halo autour du chômage), ou sous-utilisée (en sous-emploi) ». Et que dire des 12,3 % de jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en études (NEET) ?
Le coût élevé des politiques publiques pour l’emploi
Évoquer le chômage uniquement sous l’angle de son taux conduit à occulter toutes les questions de qualité de l’emploi, de stress et de déclassement professionnel, qui expliquent pourtant le malaise grandissant ressenti par les salariés et les coûts associés (humains et financiers) très élevés. Ayant pris conscience tardivement du problème, le gouvernement martèle, depuis quelques semaines, sa volonté d’aller vers « le plein d’emplois de qualité ». Néanmoins, il reste accroché à l’idée surannée que le chômage résulte avant tout d’un modèle social trop généreux, d’où la nécessité de continuer à réformer tous azimuts (modification de l’indemnisation des chômeurs, obligation d’activité pour les bénéficiaires du RSA…), dans une logique de flexisécurité, qui désigne l’association d’une faible protection des emplois (flexibilité) et d’un soutien au retour à l’emploi des chômeurs (sécurité).
Paradoxalement, comme le montre l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), les emplois aidés, destinés aux jeunes peu qualifiés, restent à un niveau extrêmement élevé depuis quelques années. C’est que depuis trois ans, le gouvernement a misé sur l’apprentissage pour atteindre le plein-emploi, qui de facto est devenu la principale composante des emplois aidés, alors même qu’il concerne principalement des étudiants de l’enseignement supérieur. Mauvais ciblage du public, effet d’aubaine, mais lourd fardeau pour l’État : les aides publiques en faveur de l’apprentissage ont atteint 17 milliards d’euros en 2022, contre 5,5 milliards en 2018 !
Plus généralement, selon l’économiste Anne-Laure Delatte, les aides publiques représentent désormais 13,6 % du PIB, dont 8,4 % pour les entreprises, de plus en plus souvent sous la forme de niches fiscales et sociales, et non de subventions directes. L’économie française est donc dopée aux exonérations, qui obligent l’État à s’endetter, avec un résultat sur la création d’emplois plutôt limité selon les travaux de l’Assemblée nationale, du Conseil d’analyse économique (CAE) et de l’Institut des politiques publiques.
Le plein-emploi, peut-être un jour, mais au prix fort !