La biodiversité survivra-t-elle à nos assiettes ?

Manger sain, bio , végan ... Les attentes des citoyens évoluent et industriels et distributeurs suivent. Mais ces transformations profitent-elles vraiment à la biodiversité ? Rien n'est moins sûr...

Pour l'huile «Fleur de colza», 100% tracée, quelque 800 agriculteurs suivent un cahier des charges spécifique avec des pratiques plus respectueuses de l'environnement.
Pour l'huile «Fleur de colza», 100% tracée, quelque 800 agriculteurs suivent un cahier des charges spécifique avec des pratiques plus respectueuses de l'environnement.

Boucheries et abattoir vandalisés, multiplication des régimes «sans», augmentation du budget consacré à l’alimentation… C’est peu dire que les mentalités et les modes de consommation alimentaires évoluent en France. Mais la biodiversité bénéficie-t-elle de ces changements ? Reconnue en danger depuis le Sommet de la terre de Rio, en 1992, elle concerne les êtres vivants et les écosystèmes dans lesquels ils évoluent, et demeure très complexe à mesurer. Plusieurs intervenants ont fait le point, lors d’un colloque consacré à «biodiversité, transition alimentaire et santé», organisé par la Fondation pour la recherche et la biodiversité.
En termes de consommation, donc, les changements sont bien là. Par exemple, le Credoc évalue que les Français consomment 12% de moins de viande qu’il y a dix ans. Autre exemple, «le citoyen a un bulletin de consommation (…) Les distributeurs retirent les œufs en batterie des rayonnages, car ils ont entendu les citoyens qui n’en veulent plus» relate Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO, Ligue pour la protection des oiseaux. «Les attentes des consommateurs sont de plus en plus fortes» confirme Clément Tostivint, responsable développement durable du groupe agro-industriel Avril, producteur d’aliments pour animaux. Concernant le bien-être animal, notamment, «nous avons bien perçu le signal envoyé par les citoyens. Des actions sont en cours pour aller vers une transition des systèmes. Nous sommes en lien avec des centaines d’éleveurs. Ce sont des investissements lourds», poursuit  Clément Tostivint.
Chez Lesieur aussi, on perçoit une évolution des mentalités : aujourd’hui, toutes les mayonnaises de la marque sont réalisées avec des œufs de poules élevées en plein air. Et une version végétale du produit a vu le jour. «C’est le vrai goût de la mayonnaise, mais sans les œufs, une sorte de prouesse de recherche et développement. Nous l’avons mise sur le marché et cela marche plutôt bien. Si on nous avait dit cela il y a cinq ans, on aurait doucement rigolé», raconte Roberto Bellino, responsable développement durable chez Lesieur. C’est également le cas pour l’huile, avec, par exemple, «Fleur de colza», 100% tracée et avec des pratiques agricoles qui se veulent plus respectueuses de l’environnement. Pour ce, quelque 800 agriculteurs suivent un cahier des charges spécifique, enrichi, d’année en année, de nouvelles règles.

Pour l’huile «Fleur de colza», 100% tracée, quelque 800 agriculteurs suivent un cahier des charges spécifique avec des pratiques plus respectueuses de l’environnement.

Le diable se niche dans les indicateurs

 

Actuellement, Lesieur  travaille à intégrer le critère de la biodiversité dans son cahier des charges de l’huile «Fleur de colza». Même son de cloche à La Vie Claire, pourtant positionné sur une alimentation alternative depuis 70 ans. «On savait déjà que, selon les modes de production et d’alimentation, les conséquences sur l’environnement sont plus ou moins fortes. La Vie Claire est née sur ce constat, en proposant des produits responsables», explique Thibault Auvergne, chargé de mission RSE dans l’entreprise. La Vie claire propose des produits à sa marque, qu’elle achète à des producteurs pour l’essentiel basés en Rhône-Alpes, avec des cahiers des charges qui se veulent plus sévères que celui du bio. La biodiversité ? «Nous ne suivons  pas encore d’indicateurs propres. Nous souhaitons les formaliser en 2019», explique Thibault Auvergne, évoquant la difficulté de trouver «le bon dosage», en élaborant des critères qui ne soient ni trop larges – sous peine d’être insignifiants -, ni trop restrictifs, ce qui les rendrait inapplicables pour les producteurs.
Quant à Lesieur, il a participé à un projet de recherche qui analyse le cycle de vie et ses conséquences sur la biodiversité de l’huile «Fleur de Colza». «C’est un travail exploratoire complexe. Nous ne voyons pas encore quoi en faire, que faire dire à cela», note Roberto Bellino. «La mise en place d’indicateurs représente un enjeu. (…) Parler de l’engagement d’une entreprise est complexe», confirme  Pauline Lavoisy, chargée de programme Biodiversité et agriculture de Noé, association qui accompagne filières et distributeurs dans la démarche de transition.
Par ailleurs, le choix des indicateurs peut aussi être  trompeur. Et  Allain Bougrain Dubourg de dénoncer : «Chaque année, en France, on fait un état des lieux de la France,  par le CESE [Conseil économique, social et environnemental] et France Stratégie. Sur la biodiversité, on aurait dû prendre l’indicateur de l’oiseau, mais on a pris celui de l’artificialisation (des sols). Résultat, on ne prend pas en compte l’assèchement des zones humides». A en suivre le Président de la LPO, il s’agit d’un «tour de passe-passe» qui masque l’impact de l’agriculture intensive sur la biodiversité.