La bataille de la Côte d’Opalea commencé...
La ligne Calais-Douvres n’est pas un enjeu de tout repos : l’attente du verdict concernant la reprise des actifs de SeaFrance a mis le territoire sur les nerfs. Après moult péripéties, la liquidation judiciaire de l’ancienne filiale maritime de la SNCF SeaFrance se termine par la reprise de trois navires (les ferries Berlioz et Rodin ainsi que le fréteur Nord-Pas-de-Calais) par le gestionnaire du tunnel sous la Manche, Groupe Eurotunnel (GET)... Quelques jours auparavant, la société francobritannique postulait à la gestion des ports de Calais et de Boulognesur- Mer aujourd’hui dans le giron consulaire de la Côte d’Opale. Le tout au coeur d’une campagne électorale au cours de laquelle les élus se sont disputé le rôle de soutien... Retour sur une folle semaine.
La victoire des partisans de la SCOP dans le dossier SeaFrance couronne une offensive tous azimuts d’Eurotunnel sur le transmanche. La société franco-britannique a gagné la première étape en étant choisie par le tribunal de commerce de Paris comme repreneur des trois bateaux (et de quelques autres actifs) de l’ex-filiale de la SNCF. Quelques jours avant cette décision, Eurotunnel déposait officiellement sa candidature auprès du Conseil régional pour la gestion des ports de Calais et de Boulognesur- Mer, entrant ainsi en concurrence directe avec la CCI Côte d’Opale… “On n’est pas sur la même longueur d’ondes. Cette offre n’a pas lieu d’être. Eurotunnel est un gros client de la CCI, ce n’est pas le seul”, rappelle Jean-Marc Puissesseau, président de la CCI Côte d’Opale. Les ports de Calais et de Boulogne-sur-Mer font aujourd’hui l’objet d’une redéfinition des acteurs du trafic transmanche et la victoire des ex-SeaFrance et d’Eurotunnel contre le consortium LDA/DFDS sonne bien comme le début d’un redécoupage sur la Côte. Pour en arriver là, il aura fallu que les ex- SeaFrance tiennent le coup après l’arrêt des navires en novembre 2011, l’échec de leur plan de reprise quelques semaines ensuite et la liquidation judiciaire le 9 janvier dernier. Invités malgré eux dans la campagne présidentielle, objet de surenchères politiques, ils ont bénéficié à plein du “changement” prôné par le nouveau gouvernement et des a priori positifs de la part de certains ministres (Benoît Hamon, ministre de l’Economie solidaire, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif) ou d’un candidat vedette à la présidentielle (Jean-Luc Mélenchon). Les leaders syndicaux, soupçonnés de malversations, prennent leur revanche et avaient le sourire le 11 juin dernier au quai Paul-Devaux à Calais. Didier Cappelle, secrétaire du Syndicat maritime Nord (la CFDT l’a exclu au printemps dernier), a déclaré devant 300 “Scopiens”: “Un texto de Me Gorias vient d’arriver et nous indique que la décision du tribunal est favorable à Eurotunnel !” Un ultime report de décision du juge-commissaire fera encore sursauter les marins : la SNCF finissait par décider, lors de son conseil d’administration du 11 juin, d’accepter d’être rétrogradée au rang de créancier. Facture : 18 millions d’euros.
65 millions pour commencer. Il aura fallu aussi que le nouveau ministre des Transports et de l’Economie maritime intervienne dans le dossier. Attendu par une centaine d’ex- SeaFrance, il déclarait lors de sa venue à Calais, le 7 juin dernier, qu’il espérait “la meilleure solution tout en respectant l’indépendance du juge”. La pression était mise sur Guillaume Pépy, dirigeant de la SCNF : “J’ai informé le président de la République et le Premier ministre de cette rencontre nécessaire avec ceux qui sont dans l’inquiétude, suspendus à cette décision.” Et de s’attendre à une décision favorable à “une stratégie liée aux enjeux futurs et à l’emploi”. Le juge-commissaire, avec qui le ministre “a échangé”, aura entendu. Et maintenant ? En prenant possession des navires et d’autres actifs pour 65 millions d’euros (dont 35 millions en cash) logés dans une filiale nommée Eurotransmanche, Eurotunnel va devoir remettre en état les bateaux, ce qui lui coûtera une trentaine de millions d’euros. Eurotunnel a choisi un montage particulier : les navires seront loués à une société d’exploitation de nature coopérative et dirigée par les ex-salariés qui abonderont au capital grâce aux indemnités du PSE de la SNCF. Cette SCOP n’aura pas de lien capitalistique avec la société qui détient les navires (Eurotransmanche) : “elle fonctionnera comme un touropérateur, achetant des traversées” indique-ton chez le gestionnaire du tunnel. Le deal est clair entre les ex-syndicalistes dela CFDT et la direction d’Eurotunnel : ne plus les mettre devant la scène après des mois de péripéties toujours mauvaises pour les affaires.
Une coopérative ouvrière de production. Ce sera probablement la plus grande coopérative de France. Elle naît dans la douleur mais la persévérance des salariés a payé. Ils avaient d’abord fait une offre de reprise repoussée par le tribunal de commerce en octobre dernier. Ils avaient aussi pris contact avec la direction d’Eurotunnel dès novembre, anticipant un échec. En même temps, ils constituaient leur société coopérative. Des parts sociales avaient été émises et l’enregistrement au RCS du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer était en attente. Désormais, les Scopiens pourront y investir leurs 25 000 euros. En tout, le capital de départ de cette SCOP devrait avoisiner 12 à 15 millions d’euros. Les collectivités territoriales présentes dans ce dossier ne verseront probablement pas leur écot dans la SCOP. D’après nos sources, ils investiront les aides promises (10 millions d’euros pour la Région, 1 million d’euros pour la ville de Calais) dans la société Eurostransmanche qui dépend de Groupe Eurotunnel. Signe de méfiance ou accord, jusqu’ici les intérêts convergent… Mais la trésorerie de la SCOP devra fatalement être renforcée par son parrain. Une des problématiques sera aussi de savoir qui formera le board du futur dirigeant de la SCOP, Jean-Michel Giguet, ancien directeur de Britanny Ferries et futur président du directoire. Les cadres du Syndicat maritime Nord seront au conseil de surveillance pour trois ans. Les premières embauches devraient concerner 250 personnes, puis 300 autres au fil de la montée en puissance de la SCOP et du trafic. Seule résrve, la masse salariale de la SCOP ne saurait être calée sur celle de SeaFrance.
Combien de navires sur le Calais- Douvres. L’un des autres gagnants de ce dossier est le port de Calais qui accueillera au moins deux bateaux supplémentaires à terme. L’ensemble de la flotte au départ de Calais atteindra cet été son point culminant avec sept navires pour P&O depuis l’arrivée de leurs deux jumbos ferries. LDA/DFDS vient d’installer son second navire. Avec les trois navires du nouveau SeaFrance, il pourrait y avoir douze navires sur la ligne. Du jamais-vu. Mais y a-t-il un marché suffisant pour douze navires sur le Calais-Douvres ? Boulogne-sur-Mer peutil raisonnablement espérer une ligne alors que Dunkerque a développé la sienne en transport de passagers et de fret roulant ? Le propriétaire des ports le souhaite et le ministre des Transports l’a conforté lors de sa visite : “Ce n’est pas gênant qu’un président de région ait de l’ambition pour les ports régionaux.” La question de l’harmonisation de la façade maritime de la région se pose à Frédéric Cuvillier qui n’a pas craint de parler d’une “troisième vague de décentralisation”. Dunkerque, port régional avant la fin du mandat ? Le marché ne sera pas absent de cette perspective. Mais l’offre s’élargissant, cela pourrait aussi provoquer une guerre des prix. D’ici là, la qualification des candidats dans le cadre de l’appel d’offres de la Région pour la gestion des ports sera réalisée et conditionnera le trafic global transmanche. Yann Capet, nouveau député de Calais et conseiller régional, le disait le 7 juin dernier : “Nous espérons que le futur gestionnaire développera son projet.” Un appel du pied à Jacques Gounon ?