La Banque de France pioche dans ses réserves pour rester à l'équilibre
La Banque de France a publié vendredi un résultat net à l'équilibre pour l'année 2023, mais a annoncé avoir utilisé 12,4 milliards d'euros de ses réserves pour combler un trou opérationnel du même ordre, creusé par sa politique...
La Banque de France a publié vendredi un résultat net à l'équilibre pour l'année 2023, mais a annoncé avoir utilisé 12,4 milliards d'euros de ses réserves pour combler un trou opérationnel du même ordre, creusé par sa politique de hausse des taux amorcée à l'été 2022.
"La trajectoire (...) des taux directeurs" se traduit par "des pertes de revenus monétaires", compensées par un "fonds pour risques généraux" garni notamment en 2022, a déclaré le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, devant la presse.
Il faut remonter à 2003 pour retrouver la précédente perte opérationnelle de la Banque de France.
Une telle situation de perte opérationnelle pour une banque centrale n'est pas intuitive. Elle s'explique en l'occurrence de deux manières.
La hausse des taux, décidée par la Banque centrale européenne (BCE) pour contrer l'inflation, qui avait nettement accéléré après le déclenchement de la guerre en Ukraine fin février 2022, oblige la Banque de France à rémunérer davantage les dépôts des banques commerciales.
Ces dernières perçoivent, par exemple, une rémunération de 4% sur les liquidités non utilisées qu'elles déposent au guichet de la banque centrale.
Dans le même temps, la Banque de France perçoit des intérêts bien inférieurs pour des titres acquis à tour de bras lorsque les taux étaient très bas.
La fin de cette politique de soutien, très active pendant la pandémie de Covid-19, empêche les banques centrales de remplacer ces titres par d'autres plus récents et plus rémunérateurs.
Résultat: une facture de plus de 12,4 milliards d'euros l'an dernier pour la Banque de France, contre un revenu de près de 5,5 milliards en 2022. Le résultat net in fine est identique en 2022 et 2023: zéro.
A la même enseigne
La politique monétaire de la BCE, appliquée par l'ensemble des banques centrales de la zone euro, "n'est pas menée pour maximiser nos résultats ou minimiser telle ou telle difficulté", a souligné le gouverneur de la Banque de France. "Elle est menée par rapport à une boussole et une seule: c'est l'objectif de stabilité des prix", a-t-il souligné.
Etats-Unis, Allemagne, Suisse... Ailleurs de grandes banques centrales ont elles aussi annoncé ces dernières semaines des pertes au titre de l'année 2023.
La Réserve fédérale américaine (Fed) a, par exemple, publié le 12 janvier une perte opérationnelle de 114,3 milliards de dollars pour 2023, la plus importante de ses 110 ans d'histoire.
La Banque nationale suisse (BNS) a essuyé une perte de 3,2 milliards de francs suisses (3,3 milliards d'euros) et la Banque fédérale d'Allemagne a dû puiser dans ses réserves pour compenser un solde négatif de 21,6 milliards d'euros sur ses opérations l’année dernière, une première depuis 1979.
La BCE elle-même est dans le rouge (-1,3 milliard d'euros pour l'an dernier). C’est une première depuis 2004 pour l'institution basée à Francfort.
L'économiste de la Société Générale Olivier de Boysson a écarté plus tôt dans la journée tout problème de fonctionnement des banques centrales lié à cette situation atypique, mais pointe un éventuel problème d'image auprès du grand public.
La rémunération des dépôts bancaires à un taux toujours élevé pourrait amener les banques centrales à souffrir encore davantage en 2024, avant un retour progressif vers l’équilibre à mesure qu’elles abaisseront leurs taux.
On en a sous le pied
M. Villeroy de Galhau s'est voulu rassurant vendredi sur la solidité de la Banque de France. Elle "en a sous le pied", a-t-il dit, en évoquant un montant de réserves "significatif et suffisant".
La Banque de France avait anticipé en mettant en réserve l'an dernier ses 4,4 milliards d'euros de bénéfices avant impôts pour 2022 dans un "fonds pour risques généraux".
Elle dispose encore de 3,9 milliards d'euros sur cette ligne ainsi que d'une réserve de réévaluation de changes en devises de près de 20 milliards d’euros.
Le gouverneur a par ailleurs répété son engagement de ne pas recourir ces prochaines années à une recapitalisation de l'Etat.
La perte opérationnelle d'une banque centrale "supprime une ressource qui n'est pas totalement négligeable dans les comptes de certains gouvernements", a observé M. de Boysson.
La Banque de France a, par exemple, reversé à l’État français 31,7 milliards d'euros entre 2015 et 2022.
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