L'interdiction en France des manifestations propalestiniennes en question
Les craintes d'une importation en France du conflit entre Israël et le Hamas justifient-elles d'entraver la liberté fondamentale de manifester ? La plus haute juridiction administrative en France doit se prononcer mercredi, en pleine...
Les craintes d'une importation en France du conflit entre Israël et le Hamas justifient-elles d'entraver la liberté fondamentale de manifester ? La plus haute juridiction administrative en France doit se prononcer mercredi, en pleine polémique sur l'interdiction générale des rassemblements propalestiniens.
Le Conseil d'Etat a commencé à examiner le dossier mardi mais rendra son ordonnance mercredi, à la veille d'un nouvel appel à un rassemblement à Paris lancé par la CAPJPO-Europalestine, une association militant pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien.
Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait annoncé la semaine dernière l'interdiction de toute manifestation propalestinienne, estimant qu'elles étaient "susceptibles de générer des troubles à l'ordre public".
Avec cette "consigne stricte", selon Gérald Darmanin, la France se démarque d'autres pays occidentaux: des milliers de personnes ont défilé légalement ces derniers jours en Espagne, en Angleterre, aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis "contre le colonialisme israélien" et en "soutien au peuple palestinien".
"La France fait ses propres choix", a noté le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani, "mais interdire les manifestations dans un pays démocratique quand ce ne sont pas des manifestations violentes ne me semble pas être juste".
En Allemagne, des manifestations ont également été interdites après des rassemblements qui avaient donné lieu à des débordements.
Le gouvernement français veut éviter tout incident dans un pays qui compte la plus importante communauté juive d'Europe (quelque 500.000 personnes), ainsi que de nombreux musulmans (près de 9% de la population de confession ou de tradition musulmane sur son territoire métropolitain, soit quelque six millions).
Gérald Darmanin a annoncé lundi que 102 personnes avaient été interpellées pour des actes antisémites ou d'apologie du terrorisme depuis les attaques sans précédent du Hamas contre Israël le 7 octobre.
Plus de 1.400 personnes, pour la plupart des civils, ont été tuées en Israël depuis l'attaque et le Hamas a capturé 199 otages, selon Israël.
Les représailles israéliennes ont tué au moins 2.750 personnes à Gaza, en majorité des civils palestiniens, dont des centaines d'enfants, selon les autorités locales.
Extrêmement sensible
La plus haute juridiction administrative française tranchera mercredi: une association propalestinienne a saisi le Conseil d'Etat en urgence sur la directive du ministre qu'elle juge contraire au droit français, comme l'affirme Vincent Brengarth, l'un de ses avocats.
Pour lui, ce texte est "une succession de confusions si ce n'est d'amalgames", s’apparente à une "interdiction de principe et absolue". Ce qui constitue "une atteinte grave à la liberté d'expression", a-t-il estimé pendant l'audience mardi.
La représentante du ministère de l'Intérieur Pascale Léglise a elle évoqué les risques d'importation du conflit en France, mais aussi les risques selon elle que des individus s'infiltrent dans les cortèges pour faire l'apologie du terrorisme.
Un tribunal administratif avait validé l'interdiction d'une manifestation parisienne jeudi dernier, face à "des risques avérés de l'exportation de cette violence" sur le sol national et le "regain d'actes antisémites". Ce qui n'avait pas empêché des milliers de manifestants de se rassembler.
Dans le "contexte extrêmement sensible", Nicolas Hervieu, professeur de droit public à Sciences Po, imagine mal le Conseil d'Etat infliger un "camouflet frontal au ministre" mais il devrait s'en sortir avec une "pirouette" en "faisant dire au ministre ce qu'il n'a pas écrit", tout en faisant "respecter les règles de la liberté de manifester, qui exigent un contrôle au cas par cas".
Car, selon Roseline Letteron, professeure de droit public à la Sorbonne, cette interdiction "générale" est "surprenante".
"Qu'est-ce qu'une manifestation propalestinienne ?", interroge-t-elle. Un "soutien à l'action terroriste du Hamas ? Aux victimes du conflit"? "La compassion pour les enfants sous les bombes, est-ce propalestinien ?", demande-t-elle, avant de rappeler la règle: "Vous ne pouvez interdire l'exercice de la liberté de manifester", qui découle de la liberté d'expression, "que s'il existe une menace à l'ordre public".
Responsable du programme "Libertés" chez Amnesty International France, Fanny Gallois dénonce elle une "entrave à la liberté d'expression" de ceux qui "souhaitent actuellement exprimer pacifiquement leur soutien au peuple palestinien".
"Les appels à la haine et les propos discriminatoires ne sont évidemment pas protégés par cette liberté d'expression", souligne-t-elle, mais présumer que les manifestants tiendraient nécessairement de tels discours participe d'un amalgame dangereux".
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