Finances
L’impôt minimum mondial est-il seulement un beau principe ?
Les ministres des Finances du G7 se sont accordés sur une réforme des règles fiscales internationales avec, en particulier, un impôt mondial sur les sociétés d’au moins 15 %. Mais si le principe rassemble, les modalités d’application divisent…
Le 5 juin, les ministres des Finances du G7, réunis à Londres, ont qualifié d’historique l’accord sur un impôt minimum mondial sur les sociétés, d’au moins 15 %. À l’ère du numérique, il devenait à l’évidence indispensable de dépoussiérer et repenser en profondeur les règles fiscales internationales s’appliquant aux plus grandes entreprises. C’est pourquoi la réforme envisagée, qui s’inscrit dans les travaux menés par l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques), reposera sur deux piliers : une nouvelle répartition de l’impôt sur les sociétés entre les différents pays où les entreprises font des affaires, et un taux d’impôt sur les sociétés d’au moins 15 % censé «éviter l’évasion et l’optimisation fiscale qui révoltent à juste titre nos compatriotes», (dixit Bruno Le Maire). Hélas, le diable se cache dans les détails encore très flous de ce compromis politique… À l’origine, même s’ils s’en défendent, les ministres du G7 visaient quasi exclusivement les géants mondiaux du numérique (Google, Amazon, Apple…), qui n’ont cessé de défrayer la chronique en raison du faible montant d’impôt sur les sociétés acquitté. Ces sociétés exploitent à plein les différences de régimes fiscaux entre les pays (taux d’imposition, définition de l’établissement stable, rescrits fiscaux…), d’où un montant d’impôt versé ridiculement faible en regard de leurs bénéfices colossaux. Pis, tout cela est légal et prend le doux nom d’optimisation fiscale.
Seulement «les multinationales les plus profitables»
Mais comme la plupart de ces multinationales du numérique sont américaines, rien d’étonnant à ce que les États-Unis aient exigé un élargissement du périmètre des entreprises concernées par la réforme, d’autant que plusieurs États européens - dont la France - leur appliquent déjà une taxe spécifique. Une des moutures prévoyait par conséquent de ne viser que les multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions de dollars et ayant «une interaction directe avec le consommateur.» Ce dernier critère, simple dans sa formulation, n’en demeure pas moins extrêmement complexe à mettre en œuvre. Il montre la difficulté à substituer à la notion d’établissement stable, basée sur une présence physique dans un pays, une approche qui tiendrait compte de l’activité commerciale réelle des entreprises dans chaque pays. L’idée qui semble s’être dégagée, au moins au stade actuel, est que lorsque la marge d’une entreprise est supérieure à 10 % (profit résiduel), les pays de marché où cette entreprise exerce son activité se verront «attribuer des droits d’imposition» sur au moins 20 % du profit résiduel. Mais uniquement pour «les multinationales les plus profitables», dont a priori une poignée de françaises. Bref, on s’approche d’une usine à gaz, surtout lorsqu’on apprend qu’Amazon pourrait partiellement échapper à cette réforme fiscale, car sa marge bénéficiaire n’était que de 6,3 % en 2020…
Un compromis au rabais
En ce qui concerne le taux de 15 %, la plupart des ONG ont considéré qu’il s’agissait d’une occasion manquée, d’autant qu’à l’origine Joe Biden évoquait 21 %. Mais le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est voulu rassurant en affirmant que ce taux n’était qu’un «point de départ», alors que d’ores et déjà le Royaume-Uni fait pression pour en exempter la City. En pratique, une société américaine qui possède une filiale imposée en Irlande au taux de 12,5 % devra donc s’acquitter en plus d’un impôt de 2,5 % (15-12,5) sur les bénéfices réalisés par sa filiale en Irlande. Mais, le taux d’imposition officiel sur les sociétés (34 % au Brésil, 31 % en France, 28 % à Monaco, 21 % aux États-Unis, 19 % au Royaume-Uni, 15,8 % en Allemagne, 12,5 % en Irlande, 0 % aux îles Caïmans…) est un mauvais indicateur, puisqu’il ne s’agit là que du taux maximum et que les négociations avec les administrations fiscales nationales peuvent abaisser très fortement le taux réel. Il n’est ainsi pas certain qu’un taux de 15 % apporte un supplément de rentrées fiscales important à tous les États. Selon les estimations, la France devrait récupérer 4 milliards d’euros par an (26 milliards avec un taux à 25 %), ce qui n’est pas rien en ces temps de disette budgétaire et explique certainement l’enthousiasme démonstratif de Bruno Le Maire. Ce compromis obtenu au G7 a été discuté au G20, les 9 et 10 juillet à Venise. Il s’agissait de convaincre, entre autres, la Chine. Puis, lorsqu’un accord formel aura été trouvé, celui-ci sera soumis à l’ensemble des pays membres de l’OCDE. La question n’est donc pas de savoir quand s’appliquera un éventuel compromis, mais ce qui restera du principe originel… La fin des paradis fiscaux n’est sans doute pas pour tout de suite !