Entretien avec Cyril Olivier, PDG du groupe Nosoli

«L'humain, c’est notre force en tant que libraire»

Alors que débute la rentrée littéraire 2023, le Furet du Nord – l'une des deux enseignes du groupe – s'affirme plus que jamais comme un puissant libraire indépendant. En pleine démarche RSE pour devenir une entreprise à mission, le groupe Nosoli affirme ainsi sa raison d'être et cultive son identité locale. Rencontre avec Cyril Olivier, son PDG.

«Nous rendons accessible la lecture et la culture à chacun» affirme Cyril Olivier, PDG du groupe Nosoli. © Lena Heleta
«Nous rendons accessible la lecture et la culture à chacun» affirme Cyril Olivier, PDG du groupe Nosoli. © Lena Heleta

Des implantations et un fonctionnement adaptés

«Nous ne sommes pas dans les toutes petites villes parce que, pour s’exprimer, on n'aurait pas le potentiel. Notre stratégie, c’est d’être là où les consommateurs sont avec un minimum de potentiel en termes de taille critique, autour de 800-1 000 m². Nous sommes répartis entre centre-ville et centre commercial. C'est très hétérogène, entre le vaisseau amiral à Lille et ses 4 000 m² jusqu’à des plus petites librairies. On propose entre 120 et 140 000 références de livres à Lille et 20 000 à 25 000 à Roubaix. On s’adapte à la taille et au type de localité et je pense que c’est une de nos forces. Nous avons des performances égales entre les centres commerciaux et les centres-villes. Aujourd'hui, c'est plus un enjeu de territoire que de format de magasin avec la question : «Quel bassin va bien ?».

En outre, nous ne sommes absolument pas centralisés car ce sont les libraires qui passent les commandes et qui référencent les produits. Il y a moins de 5% des flux qui passent par la centrale d’achat. Celle-ci négocie les conditions, travaille avec nos fournisseurs mais c’est le libraire qui décide s’il y a le potentiel pour tel ou tel livre et les quantités à commander. J'aime beaucoup la citation de Barack Obama : «Si tout le monde rentrait dans des cases et si tout se gérait par algorithmes, jamais je n’aurais choisi Michelle». L'humain, c’est notre force en tant que libraire.»

Le Furet du Nord à Douai, joyau architectural du groupe. © Lena Heleta

«Nous sommes liés, nous sommes libraires»

«Dans notre raison d’être, «Nous sommes libraires» n’était pas suffisant, je pense que la moitié des gens dans notre groupe ne sont pas libraires. Par contre, nous sommes tous liés à travers une même passion, une même mission et nous avons eu besoin de l’écrire. Nous ne sommes pas une enseigne nationale et on l’assume. Donc, retour au local, retour à la proximité. La raison d’être, je la porte d’autant plus que, ni moi ni aucun membre du comité de direction, ne l’ont écrite. Elle a été rédigée par un groupe de collaborateurs, un panel choisi de façon assez représentative des deux enseignes – le Furet du Nord et Decitre –, et de tous les types de métiers. Soit environ une trentaine de personnes, à la fois des volontaires et des gens à qui nous l'avons proposé.

Cette raison d’être – à laquelle on a décidé de ne toucher aucun mot – est volontairement longue. La première chose, c’est qu’on s'affirme indépendant et passionné. Derrière cette indépendance, il y a l’autonomie du métier. Ces dernières années, nous avons recruté des gens qui venaient d’autres enseignes qui voulaient retrouver cette marge de manœuvre. Deuxième point : nous rendons accessible. Accessible, quel que soit ton pouvoir d’achat, ton niveau d’éducation, tes passions, nous allons te donner le meilleur de ce qui existe dans ce que tu cherches. Nous rendons accessible la lecture et la culture à chacun. C’est-à-dire dans une relation personnelle, dans sa diversité. À Roubaix ce n’est pas le même pouvoir d’achat qu'à Lille mais on respecte et on accueille.

J’entends encore parfois cette remarque : «qu’est ce qu’une librairie fait dans un centre commercial ?» À Englos, un client m’a dit qu’il était content qu’une librairie vienne vers lui et qu’il serait peut-être moins à l’aise d’aller à Lille. Je pense qu’il faut désacraliser la culture. Pour être une entreprise à mission, il faut trois niveaux : déterminer une raison d’être puis la déposer dans les statuts, et la faire valider par les actionnaires. Vous devez mettre trois objectifs associés. Le premier sera autour de l’humain : qu’est-ce que ça veut dire être un libraire ? Le deuxième autour du local : qu’est-ce que ça veut dire être un référent local de la culture et de la lecture ? Le troisième autour de la circularité du livre : nous sommes un gros libraire mais on est quand même un petit maillon de la chaîne du livre qui est extrêmement lourde. Donc si on peut œuvrer, c’est sur cette circularité du livre.


«Supplément d’âme»

«La mission, c’est le supplément d’âme. C’est ce qui va faire venir et rester nos collaborateurs et les clients. C’est plus facile quand on s’appelle le Furet du Nord parce que, nativement, il y a du sens. On a tous besoin de ce supplément d’âme qui fait que oui, je sais pourquoi je suis libraire. La difficulté c’est le curseur, c’est-à-dire se fixer une ambition qui va au-delà de nous. En quoi je suis indispensable au monde et en même temps atteignable. Il ne faut pas que ce soit démotivant et pas démagogique aussi. Ce n’est pas une fondation, ce n’est pas du marketing. Pour le client, ce sera plutôt des choses concrètes.

L'expression «supplément d’âme», c’est ce qui m’a fait venir dans le groupe en 2021. C’est parfois dangereux de concilier une passion avec un objectif sociétal et en faire son quotidien. Quand on quitte une grosse entreprise pour venir travailler dans une ETI, c’est un choix de sens et de supplément d’âme. Il faut prendre tout le monde au niveau où il est et lui donner toutes ses chances. Surtout si la personne est passionnée. J’ai fait du commerce toute ma carrière et je suis persuadé que l’on ne vend pas ce que l’on aime. On vend ce qui est bien. On vend le meilleur pour le client. C’est vendre le bon produit du moment pour satisfaire le client. Le supplément d’âme, c’est ce qui anime les gens. Notamment sur le marché du travail qui est quand même complexe aujourd'hui. C’est ce qui les fait venir et rester. Evidemment, il y a les conditions salariales mais ça ne suffit pas. On a besoin de sentir en quoi on est nécessaire. Et le Nord est très crédible en termes de diversité sociale. J’aime ça dans le Nord, cette humilité et cette volonté de faire et d’accepter tout le monde.»

«On propose entre 120 et 140 000 références de livres à Lille» souligne Cyril Olivier. © Lena Heleta

Le groupe NOSOLI

Né de la reprise de Furet du Nord en 2008 par le management et des actionnaires régionaux dont Nord Capital Investissement (filiale du Crédit Agricole Nord de France), le Groupe FURET s’est fortement développé entre 2008 et 2019, en s’implantant notamment en région parisienne. En 2019, il a fait l’acquisition de l’enseigne lyonnaise Decitre, ce qui a donné naissance au groupe NOSOLI («NOus SOmmes LIés, NOus SOmmes LIbraires»). Fort d'un réseau de 31 magasins, riche de deux marques fortes et centenaires, NOSOLI est aujourd'hui le premier libraire français indépendant multi-enseignes avec près de 160 M€ de chiffre d’affaires et 750 salariés.


Une rentrée littéraire moins prolifique

La rentrée littéraire 2023 va être la moins prolifique du siècle, les éditeurs jouant la carte de la modération face à un marché du livre hésitant, selon le magazine Livres Hebdo. Ce dernier a recensé 466 romans prévus entre mi-août et fin octobre, répartis entre 321 romans français, dont 74 premiers romans, et 145 romans traduits. C'est près de 5% de moins que les 490 de l'année précédente, et un tiers de moins que le point haut établi en 2010, où le secteur avait atteint un record de 701 nouveautés. La baisse du nombre de parutions se poursuit et revient ainsi à des niveaux qui étaient ceux du milieu des années 1990. Après une année 2021 record et une année 2022 mitigée, la rentrée est décisive pour la performance du marché du livre. Selon l'institut GfK, le premier trimestre a plutôt été bon pour la littérature (+3% sur un an). La rentrée de 2023 verra paraître, entre autres, les nouveaux romans d'Agnès Desarthe, Amélie Nothomb, Éric Reinhardt, Mathias Enard ou Laurent Binet.