L’Opéra et ses mécènes, une histoire de prestige
L’opéra de Lille, malgré ses financements institutionnels, a lui aussi besoin de mécènes et de partenaires pour boucler son budget annuel. Avec chacun sa place sous les ors et les volutes.
La saison 2012-2013 bat son plein en ce mois de février à l’Opéra. Mais la saison 2013-2014 est déjà programmée en avant-première pour les mécènes et partenaires actuels. Ils en auront un aperçu le 14 février, afin de pouvoir tranquillement choisir les spectacles qu’ils vont soutenir l’année prochaine. «Les nouvelles entreprises qui veulent se présenter sont les bienvenues», souligne Pierre Fenet, directeur administratif et financier, tout en ajoutant que les places sont chères… dans tous les sens du terme ! D’abord parce que la jauge n’est pas extensible : 1 500 à 2 000 places sont réservées aux mécènes et partenaires chaque année, soit 3 à 4% seulement de la jauge totale. «Mais on pourrait remplir la totalité des places de l’Opéra avec nos seuls mécènes», confie le responsable qui rappelle la mission de service public de l’établissement, dont celle d’accueillir des publics (le grand public). Peu de places sont donc disponibles pour les entreprises qui souhaitent participer à la vie de l’Opéra. Conséquence : les premiers à se manifester sont les premiers servis. Et comme le taux de renouvellement des mécènes et partenaires est de 90% aux dires du directeur administratif et financier, les nouveaux arrivants doivent rentrer dans le jeu de la concurrence et se décider vite.
Si les places sont chères en nombre, elles le sont aussi en prix. En cause, aux dires de Pierre Fenet, la hausse (très) ralentie des financements publics, conjuguées à la hausse du coût des spectacles. L’augmentation des tarifs des places (sauf celles du poulailler) est loin de couvrir la différence, et «ce n’est pas un levier sur lequel s’appuyer», soutient le responsable. La présence de mécènes et de partenaires est donc devenue vitale. «Sur un budget d’environ 1 million d’euros (qui peut être variable d’une année à l’autre), la part du mécénat-partenariat est passée de 10 à 20% en deux à trois ans», explique-t-il.
Mécènes ou partenaires ? Pierre Fenet reconnaît qu’à l’Opéra, le mécénat peut prendre aussi la forme d’un partenariat. Il ne s’agit plus là de mécénat à proprement dit : les dispositifs fiscaux liés à cette forme de soutien n’agissent plus. Les «partenaires» achètent des places (plus chères que le tarif public) et bénéficient d’une communication et de tarifs préférentiels pour louer le foyer ou les salons privés. Différents niveaux de partenariats existent, à partir de 5 000 euros. Les banques et les cabinets de conseil se les disputent.
Les partenaires. Les «partenaires événements» choisissent un opéra où ils peuvent inviter de 50 à 200 personnes. La Caisse d’épargne Nord France Europe, la CIC Nord-Ouest, la Société générale et Rabot-Dutilleul ont choisi cette formule.
Les «partenaires associés» invitent leurs clients sur quatre ou cinq spectacles de la saison. Douze entreprises ont privilégié ce statut : Air France, Caisse des dépôts et consignations, In Extenso, KMPG, Le Printemps, Meert, Norpac, Orange, PriceWaterHouseCoopers audit, Ramery, Transpole et Deloitte. Jean-Yves Morisset, responsable Deloitte région Nord, explique cette présence à l’Opéra : «C’est une manière d’affirmer notre présence et notre ancrage local alors que nous sommes un cabinet international. L’Opéra est un très bel endroit, avec de superbes spectacles où nous pouvons inviter un petit groupe ne dépassant pas 30 personnes. Ce qui est tout à fait impossible au palais des Beaux-Arts ou à Lille Art Fair où nous sommes aussi présents comme mécènes.»
Cet argument est aussi repris par Eric Lhôte, responsable communication au Crédit du Nord. La banque de la place Rihour a choisi d’être «partenaire événement et partenaire associé». Il s’agit de choisir quelques spectacles à offrir à leurs clients et collaborateurs, comme les précédents partenaires, mais aussi de soutenir une opération moins connue, comme une création. Pour le grand plaisir des dirigeants de l’Opéra qui cherchent à produire plus de nouveaux spectacles tous les ans : «Nous sommes un jeune opéra de dix ans ; nous devons montrer notre patte artistique en créant nos propres spectacles, en plus des coproductions», explique Pierre Fenet.
Pour la cinquième année, Vilogia est «partenaire associé à la programmation Opéra en famille», en lien avec sa mission de favoriser l’accès culturel aux publics défavorisés. «Nous faisons l’annonce de l’opéra choisi dans le journal des locataires, et les cent premiers qui répondent peuvent venir», raconte Anne Massart, directrice général adjointe, en ajoutant que certains n’oseraient jamais pousser les portes de l’Opéra sans cette occasion.
Les mécènes. Et les «vrais» mécènes ? Ils sont seulement au nombre de trois : Dalkia Nord est le «mécène principal» depuis la réouverture de l’Opéra. Mais pas question pour autant de parler de ce mécénat chez Dalkia : on ne communique pas sur le sujet. Un sujet qui coûte – dans tous les sens du terme − cher puisqu’il faut multiplier par quatre par rapport aux contreparties éventuelles le montant total du mécénat (pour lequel on bénéficie alors des dispositifs fiscaux). Les mécènes peuvent aussi recevoir leurs invités dans les salons privés ou dans le foyer exceptionnellement.
Le Crédit mutuel Nord Europe, «mécène associé aux productions lyriques» sur trois opéras en 2012-2013, est un mécène «à la carte, depuis 2006», explique Laurence Pavie-Cuvillier, déléguée générale de la Fondation CMNE. Le montant du mécénat varie en fonction du nombre des opéras choisis. L’Opéra est «une structure culturelle régionale rayonnante et d’envergure, avec une programmation de qualité» qui rentre dans la dimension culturelle recherchée par la ligne directrice de leur mécénat. Une trentaine de personnes sont invitées à chaque opéra.
Le consulat du Japon à Lille est un mécène ponctuel, «associé aux musiques et danses du Japon» qui sont programmées cette saison.
Une autre voie de financement par le mécénat a été ouverte pour satisfaire à la demande mais aussi pour étendre la diffusion des spectacles proposés par l’Opéra : leur transcription audiovisuelle. Inaugurée en 2010 sous forme de DVD de l’opéra Carmen, cette nouvelle formule de diffusion a été entièrement financée par le Crédit mutuel Nord Europe qui en avait acheté 2 000, à l’intention des clients et des collaborateurs. Cette année, Le Couronnement de Poppée est en lice pour être édité en DVD, avec le mécénat de La Fondation Orange, «mécène associé aux projets audiovisuels».
La captation audio (télé ou radio), décidée par l’Opéra selon l’importance du spectacle est encore une autre voie… à financer !
La créativité est donc de mise, pas seulement sur la scène, mais aussi à la direction de l’Opéra, pour trouver des financements. Le prestige se paie au prix fort mais il le vaut bien !